Snow - Fly, lovely butterfly [fini]

« Mais les enfants qui s’aiment
Ne sont là pour personne
Et c’est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit »

Un cœur délicat ourlé du désir d’être aimée, profondément et sincèrement, prisonnier d’une poitrine menue, dissimulé par un sourire joyeux qui semble incapable de s’affadir. Il y a quelque chose de rayonnant derrière cette apparence de Lady, sage et soignée. Les jupons aux genoux, les clavicules couvertes. L’ombrelle accroche les rayons du soleil, les projettent en trait d’ombres sur le sol. Et elle rit, rit encore, de ce son cristallin, la joie pure d’une enfant qui s’épanouie d’un rien, s’extasie de tout. Il y a chez Snow cette innocence naïve de celle qui n’a pas encore connu la cruauté du monde. Et pourtant… Pourtant, il y a tant de blessures dissimulées sous les tissus de ses robes, parfois anciennes, cicatrices insipides, blessures juvéniles. Parfois récentes, douloureuses et invisibles. C’est une rupture ici. Un désaccord avec un ami là.
Elle souffre en silence, petite fleur de tournesol et ne parle jamais de ce qui la chagrine. Elle s’effondre et tombe pour mieux se relever, encore. Elle semble incapable d’abandonner, incapable de se laisser aller.
La vie est ignoble et pourtant elle veut croire à ce soleil de printemps après les neiges épaisses de l’hiver. Elle veut croire que demain sera meilleur. Que son avenir sera radieux.
Elle veut croire…
Non.
Elle y croit.

Ancienne fiche V2. Pour ta curiosité
TW : violence conjugale. Maltraitance infantile (genre, les ¾ de la fiche).
La petite fille, dans la chambre vide, a peur. Elle est là, bien sage, au fond du lit cage, toute seule…

Les cheveux blonds étaient sales et ternes. Le corps recroquevillé d’une maigreur affligeante. La poitrine menue se soulevait lentement, s’abaissait lentement. L’enfant dormait, qu’avait-elle d’autres à faire ? Il n’y avait rien d’autre, plus rien du tout, que le matelas sur lequel elle gisait, dans une inquiétante faiblesse.

La vie n’avait pas toujours été ainsi. Sasha n’avait pas toujours ressemblé à un animal sauvage famélique, le regard hagard et éteint.

Avant, il y avait Eleonore, sa chère et tendre mère. La maison dans le sud de la France, Balou le chien, Orace le chat. Vladimir son père. Les oiseaux sauvages qui chantaient le matin dans les haies du jardin, le personnel qui s’occupait de tout, surtout de l’amuser et la faire rire, le bonheur de foulée l’herbe verte de ses pieds nues, de capturer les sauterelles bondissantes, les coccinelles à six points qui portaient bonheur, celui de cueillir les coquelicots et les violettes, de se piquer les doigts sur les ronces des muriers, de s’empiffrer de framboises à en avoir la bouche rouge écarlate.
Rouge, comme le sang d’une lèvre fendue. Et le ciel bleu azur, parfois bleu nuit ou l’entre-deux, plein de nuance.
Nuances de bleus comme les fleurs d’amour sur le corps de maman.

« C’est quoi ça maman ?
- Un cadeau. Des fleurs d’amour de ton père, Sasha. »

Et ce sourire étrange qui fleurissait sur ses lèvres pâles, entre tristesse et amour profond.
Son père avait l’amour violent mais la petite Sasha ne s’en était pas rendu compte.
Jusqu’au jour fatidique de l’annonce.

« Sasha, il va falloir être forte. Maman va devoir partir pour un long voyage. Il faudra que tu prennes bien soin de papa pour moi.
- Un voyage long comment ?
- Un voyage qui n’a pas de fin. »

Un cancer agressif. Une vie qui s’éteindrait bientôt, au crépuscule de sa jeunesse.
Et Sasha grava le sourire éblouissant d’Eleonore dans son cœur.

C’était un triste jour de pluie. Le ciel crachait ses larmes comme celles qui roulaient sur les joues de Sasha.
Un long voyage avait-elle dit.
Menteuse ! Menteuse ! Menteuse !
Un voyage dont elle ne reviendrait pas.
L’enfant aurait bientôt sept ans. Elle était assez vieille pour comprendre. Assez intelligente pour saisir les nuances.
Sa petite main chaude dans celle si grande de son père.
Un dernier souvenir heureux avant l’Enfer.

La dépression née de l’absence. L’alcoolisme pour oublier. Sasha tentait de reproduire les gestes de sa mère, dans la cuisine, dans la maison. Elle l’avait observée faire tant de fois. L’avait aidé tant de fois.
Mais son père n’était pas là. Enfermé quelque part dans sa tête. Corps vide d’esprit, présence fantomatique entre les murs d’une maison qui lui semblait grise à présent.
Triste à mourir.
Et pourtant, Sasha persévérait.
« Prend soin de ton père pour moi.
- Oui maman. Bon voyage, reviens-nous vite. »

Un vieux monsieur et une vieille dame, aux sourires factices, à l’air revêche. Ils lui font peur mais elle leur offre un sourire timide. Elle a l’air débraillée dans ses vêtements fripés, ses longs cheveux blonds emmêlés d’être mal brossés chaque jour.
Le début du cauchemar. De l’Enfer. De la fin.
Bientôt, il n’y eut plus d’activités extrascolaires. Fini le piano, la danse, le chant…
Bientôt, il n’y eut plus d’école non plus. Plus de jouets. Pire encore, plus de livres.
Si elle s’était doutée, elle aurait trouvé le moyen d’en cacher.
Plus de mobilier non plus. Plus que le matelas froid et le petit animal aux abois qui vivaient là.

Parfois, une main charitable pensait à la nourrir. C’est qu’un cadavre d’enfant, ça n’arrangerait pas leurs affaires. Il fallait qu’elle vive, quand bien même elle représentait un boulet à leurs chevilles.

Papy. Mamie.
Des monstres à figure humaine.

Les jours. Les semaines. Les mois. Les saisons.
Le temps s’écoule lentement lorsque l’espoir meurt dans un cœur. Lorsqu’il n’y a rien pour passer le temps. Rien que son esprit qui s’invente des histoires,  la transforme en fée, en princesse, en dragon. En sorcière, en épouvantail, en animal galopant.
Sasha est seule.
Son père ne vient jamais la voir. Est-il encore vivant ? Mange-t-il correctement ?
Elle s’inquiète, panique, angoisse, se calme.
Que pouvait-elle faire, princesse déchue dans son cachot lugubre?

Un jour, miracle ! Elle se sauve, s’échappe. Elle a le diable aux trousses, elle doit trouver les voisins. Mais le chien aboie, joyeux, il veut jouer. On la repère, on la rattrape.
Elle hurle à s’en briser la voix. Elle mort et frappe l’adulte qui ose la contraindre à cette vie de misère qu’elle n’a pas méritée.
Qu’a-t-elle fait pour qu’on la punisse si longtemps ? Si foidement ?
C’est odieux, c’est affreux.

Il y a des cadenas partout maintenant. La porte lui faire. Elle est prostrée toujours.
Puis la porte s’ouvre et ses yeux fatigués croisent un regard qu’elle connait mais qu’elle a oublié.
Un enfant. Il a son âge, il lui semble. Quel âge a-t-elle maintenant ? Toujours sept ans ?
Il pose un doigt sur ses lèvres. Ces mêmes lèvres qui dessinent alors une promesse silencieuse « Je reviens. »

Le temps s’étire. Encore. Encore. Encore.
Elle s’accroche à ce maigre espoir qui fleurit en bourgeon dans son cœur.
Je reviens.
Je reviens.
Je reviens.
Je re…
Du bruit derrière la porte au loin. Des voix qu’elle connaît. Des voix inconnues. Ca couine. Ca craque. Ca tremble.
Elle tremble. Se recroqueville dans son coin. Terrifiée.
Puis la porte s’ouvre en grand. La lumière l’aveugle. Le policier est un géant qui vient la dévorer. Louis, le prince qui vient la délivrer. Et sa famille, des ogres qu’elle ne peut pas regarder.
Mais il y a son père.
Elle court, s’accroche, couine et pleure à chaudes larmes.

« Papa ! Tu vas bien ! Papa ! Ne t’en vas pas, papa ! Reste avec moi ! »

La culpabilité dans le regard de son père, l’amour et le désespoir aussi. On les sépare, on l’entraine loin de lui. Elle hurle, tempête, se démène puis sombre. Elle est trop faible, n’a pas la force.

La famille de Louis est gentille et prend soin d’elle. On s’apitoie sur son sort, sur cette fillette muette qui refuse de prononcer le moindre mot. On l’emmène en thérapie, on essaie un professionnel, puis deux, puis trois. Rien ne change, il n’y a que Louis qui profite de la voix enchanteresse de Sasha. Que Louis qui a le droit à ses histoires. Que Louis pour la faire sourire.
Louis, le phare qui illumine ses nuits de tempête.
On ne lui trouve aucune famille vivante pour la prendre en charge. Les services sociaux font leur travail. On l’arrache à ce bonheur difficilement retrouvé.

Un premier foyer pour l’enfance. Elle se recroqueville au font d’elle. Aucun autre enfant ne semble avoir sa préférence, elle ignore le monde qui l’entoure, semble vivre dans sa tête.
Elle s’efface où qu’elle aille, on l’oublie d’où qu’elle vienne.
Certains tentent de l’apprivoiser. Echouent. D’autres de la tyranniser. Ne lui tirent aucune réaction.
Ca ne va pas. Elle empire, décrètent les adultes. Il faut agir proposent certains.

Puis un jour, il y a Gaël. Un sourire tout doux avec une fossette, la même que celle d’Eleonore. Une voix tendre et basse. Une main qui récupère la sienne. Il l’emmène, elle suit sans résister. A quoi bon ? Rien n’avait d’importance.
Elle voulait retrouver le bonheur qu’elle connaissait chez Louis.
Gaël lui propose une nouvelle famille. Il est seul avec son épouse. Il n’y a pas d’autres enfants. Mais il y a des chats, des chats tactiles qui ronronnent en se frottant contre ses jambes. Il y a un jardin aussi, avec une balançoire.

Il faut du temps, des mois, mais lentement Sasha réapprend à vivre. Elle sourit. Parle même parfois.
Elle progresse, à son rythme. S’ouvre à nouveau au monde. Elle tente d’oublier son calvaire, de faire abstraction, d’avancer sur le chemin difficile de la vie.

Le procès. Les droits de son père lui son retirés. Elle n’appartient plus à personne, devient orpheline. Mais elle a Gaël encore. Sa nouvelle ancre dans ce monde. Et Léa. Elle est gentille. Elle lui lit des histoires. Lui prépare des cookies. Elle sèche ses larmes, efface ses cauchemars, la nuit, quand elle crie.

« Ma petite Sasha. Tu es un être exceptionnel, ce monde a besoin de personnes comme toi. Tu es prête maintenant, je vais te présenter une nouvelle école, d’accord ?
- D’accord Gaël. C’est quoi comme école ?
- Une école pour les enfants très intelligents, comme toi. Mais tu ne pourras pas rentrer à la maison tous les soirs, Sasha.
- …
- On peut visiter plusieurs fois. Tu as le droit de choisir.
- … D’accord alors. »

Du temps. Plusieurs visites. Le choix, Sasha ne l’avait pas. Mais on lui laissa le temps nécessaire. Elle comprenait. Elle voyait la douleur dans les yeux de Gaël, sa souffrance à la laisser là. Sa joie aussi de la savoir entre de bonnes mains.
Ici, Roger et Abbey s’occuperaient d’elle comme de leur propre fille. Ici, elle ne s’ennuierait plus, ne se sentirait plus seule. Ici, elle allait se faire des ami.es qui lui ressembleraient.
La Wammy’s house deviendrait sa nouvelle maison.
Une nouvelle aventure.
Un nouveau chapitre de sa vie.