Ghost / Le silence est l'amour que tu n'as pas eu FINI

Ghost se taisait.

Dans son silence il y avait de la joie. Elle avait accroché une de ses robes à une corde et accroché la corde sur un arbre dans le vent cela faisait comme un cerf-volant.

Elle balançait ses jambes encore enfantines dans le vide, elle était agilement grimpée à l'arbre, elle avait l'impression du haut de son perchoir d'être dans les bras de son ami le vent.

Des enfants de la crèche passèrent en rang de petits poussins, ils chantaient "vive le vent" joyeusement en avançant. Le vent était frais presque froid mais la fillette de onze ans ne s'en souciait guère.

Elle se mit à fredonner tout bas de sa voix claire que seul le vent aurait pu discerner de là où elle se cachait : « Vive le vent, vive le vent d'hiver, qui s'en va sifflant soufflant... »

Elle avait une jolie voix mais seul le vent était autorisé à l'entendre. Elle refusait de parler aux autres personnes, ce qui faisait qu'à l'oral on ne pouvait pas la noter mais en sport et à l'écrit elle excellait cela rattrapait pas mal.

La fillette rit en cristal à la fin de la chansonnette elle avait beau vouloir se cacher du monde elle état très expressive bien malgré elle.

Elle était emplie d'une vie qui souffrait encore trop pour s'exprimer.

La cloche sonna et l'enfant soupira, elle devait voir un psychologue pour son « souci de parole » cela la mettait en colère mais elle n'avait pas le choix, elle le savait bien les enfants ne l'ont pas toujours. Elle descendit donc, sourit au souffle doux et frais du vent et alla au rendez-vous.

« Bonjour Ghost assieds toi ! »

Mais l'enfant resta debout avec entêtement elle en avait assez d'attendre en silence et de supporter ce flot de paroles qu'elle ne demandait pas. Dans une révolte muette l'enfant ne bougea donc pas de sa position debout.

Le psychologue leva un sourcil et lui tendit une ardoise : « Si tu veux rester debout tu peux mais aujourd'hui on va discuter plus longuement que sur un cahier quelques mots ou par gestes, si parler à voix haute te semble dur j'aimerais au moins que tu utilises l'ardoise, et que tu fasses un vrai discours, que je t'ai donnée, il est très difficile de te comprendre si tu ne communiques pas de toi même, fais un effort ! »

Un effort ? Un effort ? Mais la fillette en avait fait toute sa vie des efforts et à présent qu'elle réalisait leur souhait qu'elle faisait tout pour ne pas exister on voulait qu'elle revienne, pourquoi ? Pourquoi pour être abandonné encore ? Souffrir encore ? Pourquoi voulait on qu'elle revienne dans ce monde qui ne voulait pas d'elle ?

Dans un élan de révolte intense la fillette envoya valser l'ardoise en hurlant : « NON ! » avant de réaliser sous le regard satisfait du psychologue qu'elle avait parlé, de mettre les mains sur sa bouche et de partir en courant du bureau.

Elle pleura longtemps dans le souffle du vent recroquevillée sur un banc, c'était douloureux de parler, c'était douloureux de s'exprimer dans cet univers où elle ne voulait et n'avait toujours voulu qu'être aimée en vain.

L'histoire de la petite fille du banc

Ghost est née dans une famille fantôme. Oh ils étaient bien vivants mais elle était un accident et ils ont regretté sa naissance qui les empêchaient de vivre leur vie de très jeune adulte. Ils auraient pu avorter mais la famille était contre, la famille ou plus exactement la grand-mère seule parente restante, le fils n'osait pas contredire sa vieille mère. Il insista donc pour qu'elle garde l'enfant. Les quatre premières années de sa vie, Georgia fut élevée par sa grand-mère dans un amour inconditionnel, elle était la petite fille qu'elle voulait tant. Cette jeune enfance dans la tendresse simple d'une maison d'ancienne ouvrière aurait pu continuer si un matin de  printemps  la petite enfant n'était pas descendue voir sa mamie, et ne l'avait pas trouvée endormie dans son chocolat.

Parfois les vielles personnes s'endorment dans leur chocolat et ne se réveillent jamais quoi qu'on leur dise ou secoue. C'est ce qu'apprit la très jeune enfant ce jour là. La grand-mère était morte un d'accident Vasculaire Cérébrale mais Georgia ne pouvait pas le savoir à seulement quatre ans.

Quand à l'enterrement, le fils lui reporta la faute «  Tu as fatigué ma mère et à présent elle est sous terre ! » l'enfant ne put que le croire et s'en sentir coupable.

Parfois on tue les gens qu'on aime de fatigue et ça fait mal car après ils sont sous la terre dans un coffre en bois. Voici le deuxième enseignement de la fillette.

A la maison, un appartement, ce n'était pas amusant, les assiettes volaient et les jurons aussi. Les parents ne voulaient pas garder l'enfant mais le testament leur demandait d'en prendre soin. «  Ce n'est qu'un bout de papier ! » «  C'est ce qu'Elle voulait ! » «  Et toi tu en veux de cette gosse ? » «  Bien sûr que non pas plus que toi ! »  Derrière la porte n'osant pas entrer pour le repas Georgia cinq ans se mettait ses petites mains sur ses oreilles pour ne pas écouter, ne pas entendre.

Parfois même quand on ne veut pas entendre on entend quand même.

Ce fut le troisième enseignement de Georgia.

A l'école primaire la maîtresse s'inquiétait, Georgia était très pâle et sombre pour son âge et surtout elle ne parlait pas, pas un mot depuis un an, pas une larme non plus, certains enseignants la comparaient à un fantôme. C'est de là que l'idée lui est venue. Elle qui n'était pas aimée allait se faire aimer par un être qui ne la rejetterait pas. L'esprit du vent ! Il serait discret comme elle et comme elle personne ne se préoccuperait vraiment de ce qu'il ressent mais Georgia elle saurait !

Elle dessina un grand homme sur une feuille, dessin maladroit d'enfant de sept ans, cheveux noirs comme les nuages parfois et yeux bleus comme le ciel, il était l'esprit du vent, cette nuit là dans son silence et sous les assiettes qui se brisent dans la cuisine elle se blottit dans sa chambre sous ses couvertures et regarda longtemps son dessin, à coté il y avait écrit de sa main enfantine « esprit du vent ».  Elle souriait comme jamais depuis si longtemps cachée du monde près de cet ami de papier.

C'est bon de se croire aimer même si c'est inventé. Voilà le quatrième enseignement de Georgia.

A l'école en cours de sport l'institutrice remarqua l’extrême agilité et les capacités prometteuses de l'enfant en gymnastique. Elle décida d'accompagner Georgia chez elle, les parents ne venaient jamais aux convocations scolaires.

Georgia obéit toujours silencieuse, elle ne parlait qu'au vent en cachette de tous. Seul lui l'aimait seul lui avait le droit d'entendre sa voix, la malingre fillette de huit ans fut suite à cette visite impromptue placée dans une famille d’accueil, une enquête sociale de deux mois ayant révélé suite au signalement de l'institutrice une négligence inquiétante.  La maison était sans dessus dessous à son arrivée et bien que ne comportant pas de trace de coup la petite fille ne mangeait clairement pas tous les jours.

Mais l'attitude ailleurs et impassible à toute réaction humaine et le fait de sourire à quelque chose d'invisible, quand le vent soufflait elle souriait au vent en repensant à son dessin, dérangea la première famille d’accueil, la seconde ne la garda pas, la troisième non plus.  A huit ans et demi elle avait déjà été pas mal trimballée de famille en famille en trois mois, elle revenait toujours sur ce banc avec l'éducatrice, ce banc où elle reprenait le train vers une autre famille inconnue et qui ne la garderait peut-être pas.

Parfois certains humains sont des paquets que les autres se renvoient par peur de les aimer et d'en être blessés. Il faut alors tout faire pour s'effacer malgré son envie d'être aimée.  

Voilà le cinquième enseignement de Georgia.

Une vieille dame fut sa cinquième famille d’accueil, cette dame  l'aimait, Georgia aimait sa peau comme le chocolat et son caractère fort, avec elle Georgia se remit à parler bien vite à l'école on aperçut qu'elle dépassait les autres de loin dans la plupart des matières, elle commença même des cours de gymnastique où elle se montrait précoce et prometteuse. Elle était une enfant heureuse équilibrée, joyeuse même, dans cet endroit tendre, mais son ami le vent elle ne l'avait pas abandonné, elle avait trop été abandonnée pour cela, parfois elle était absente, on qualifiait cela de lunatique sans s'inquiéter.

Il ne faut pas abandonner les gens qu'on aime même s'ils n'existent pas.


Voilà le sixième enseignement de Georgia.


Mais un jour alors qu'ils allaient prendre le train pour la mer, Georgia était toute heureuse elle qui ne l'avait jamais vu ! La vieille dame qui se savait très malade sans l'avoir dit à quiconque ni aux services sociaux ni à sa précieuse Georgia demanda à la fillette de dix ans de rester sur le banc en l'attendant, elle allait prendre les billets. Georgia toute heureuse obéit.

La vieille dame ne revint jamais de ce voyage en train et Georgia resta sur le quai, elle attendit longtemps jusque dans le froid de la nuit, un contrôleur finit par s'inquiéter, l'assistante sociale alla la chercher, elle fut mis en foyer en attendant une famille d’accueil.

Parfois les gens qui nous aiment et qu'on aime s'en vont sans qu'on sache pourquoi, voilà le septième enseignement de Georgia.

A l'école elle était si avance et elle excellait tant en sport d'agilité telle que la gymnastique ou la danse qu'un article parut dans le journal local : « Un petite fille surdouée d'un foyer aurait été inscrite à un concours de Gymnastique, elle représentera son école à cette compétition inter-école. Son nom est Georgia Milles ! » Un employé de la Wammy's House le lut et alla voir la compétition où la fillette gagna la première place dans la catégorie des enfants de 9-11 ans. Impressionné et attiré par l'article l'employé en parla à la Wammy's House. La fillette passa des épreuves et des tests et y fut admise à dix ans et demi.

Elle prit le nom de Ghost pour sa discrétion et cette impression qu'elle donnait de marcher si légèrement ainsi que pour son silence, Ghost avait retrouvé son mutisme d'antan. Elle ne communiquait que par gestes et en écrivant sur un cahier mais là encore discrètement sans s'étaler comme par peur de déranger, de blesser et d'être blessée. Ghost entre à présent dans sa onzième année.