FALLOUT / TOUT VIENT À POINT À QUI SAIT LE PRENDRE

J'aime croquer dans des carottes crues
et boire du thé à la menthe.

J'aime écouter des matchs de foot à la radio
pendant que je me teins les cheveux.

J'aime le sourire des mères qui regardent leurs enfants jouer
et le regard des filles qui veulent danser.

J'aime les plaisirs simples parce que rien d'autre au monde ne peut prendre leur place. Une fois qu'on a tout perdu, il faut tout rebâtir. Alors il faut survivre, peu importe ce que Dieu nous réserve, et continuer d'avancer. Protéger ce que l'on peut, prier pour le reste, et retrouver les petits bonheurs.

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Voilà pourquoi je suis ici avant tout. J'ai d'autres raisons, bien sûr. Cet orphelinat est une opportunité, mais également le début d'une nouvelle vie. Pour moi, pour mon corps, et pour mon compte épargne.

J'ai troqué mes longs cheveux roux contre un mulet rose.

Mon jogging camouflage du marché contre des vêtements de créateur.

Mes montagnes contre votre petite ville.

J'ai fait les sacrifices que j'avais à faire pour rentrer dans le cercle. Maintenant que j'y suis, je compte bien y rester assez longtemps pour rentabiliser cette expatriation. J'ai renoncé à mes anciens amis, à mon ancienne vie, à mon nom.

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Naïma était facile à faire disparaître. Depuis que ma famille m'a rejeté, tout le monde dit que je vis à la campagne. Quelque part, ils n'ont jamais eu tort. Je vis toujours à la campagne maintenant, mais dans un orphelinat pour surdoués. Je n'aurais jamais utilisé ce mot pour me décrire moi-même, mais si j'ai été convoquée ici, c'est que l'étiquette me va, non ? Alors je la garderai tant qu'elle me sera utile.

Je serai Fallout.

Je serai tout ce que j'ai toujours voulu être,

et plus encore.

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Les ruelles d'Alger ont longtemps été mon territoire. Meilleur terrain de foot possible – sauf quand on se faisait choper par les vieux. On allait chez Ayoub pour regarder des dessins animés, et chez Rahma et Farid pour manger des gâteaux. Le grand frère de Qadir avait internet sur son ordinateur, et il nous le prêtait pour appeler Nymphea et lui montrer comment on faisait la roue. Elle nous parlait de Londres et nous apprenait des gros mots pour nous faire rire.

Mon oncle et ma tante ont attendu que j'aie six ans pour répondre à mes questions sur mes parents. Ils m'ont demandé ce que je voulais comme anniversaire, et j'ai dit que je voulais appeler Maman. La combine a marché, et ils ont tout déballé. Morts en revenant de leur pèlerinage. Rahma l'avait dit, c'était pas logique toutes ces histoires de « ils sont à l'étranger » et « ils sont très occupés avec leur travail ». Je n'étais pas triste quand j'ai su.

J'étais contente de connaître la vérité.

Je m'ennuyais à l'école. Trop simple, trop long, trop répétitif. Je faisais mes devoirs, et je m'arrangeais pour rester dans la moyenne quand il y avait des contrôles. Plus efficace. Comme ça, pas besoin d'aider tous les potes quand on nous forçait à réviser. On préférait jouer dehors, nous. Les parents préféraient aussi. On était des gamins bruyants.

On avait besoin de bouger.

On voulait sauver tout le monde, même quand on les connaissait pas. Une bonne intention qui a vite dégénéré. Allah nous a appris que tout le monde mérite une chance, qu'aider quelqu'un dans le besoin n'est jamais une mauvaise chose. J'y crois encore. J'y croirai toujours. Mais c'est à la dure qu'on a appris que c'était aussi important de savoir choisir ses combats. En voyant chacun prendre un chemin différent.

Le chemin vers la diaspora, vers les sectes, vers les gangs, vers la mort.

Qadir et moi, on est les seuls à avoir décidé d'aller au lycée. Il voulait devenir médecin, et j'avais pas trop encore choisi. Au final, j'ai jamais eu à choisir. Du point de vue de Qadir, j'ai probablement juste disparu comme les autres, sur un autre chemin.

J'ai fait une erreur de planning. Le fils d'un voisin m'a vu avec ma copine. Alors il l'a dit à ses parents, qui l'ont répété à toute leur famille, jusqu'à ce que la rumeur arrive chez mon oncle et ma tante. On s'est disputés. Ils ont dit que j'avais apporté le déshonneur sur leur foyer, et sur mes défunts parents. Que j'étais malade, que j'allais contaminer mes cousines. Que ce n'est pas ce que dit le Coran. J'étais pas d'accord. Allah m'a faite comme je suis pour une raison. Je ne faisais de mal à personne. Aimer, c'est pas faire du mal. Ils ont crié, et j'ai crié aussi. Il fallait que les voisins aient quelque chose à écouter à travers les murs. Ils m'ont mis à la porte, même si ça les faisait pleurer. Je leur en voulais, mais je ne voulais pas qu'on se quitte sur de la haine.

Alors je leur ai pardonné.

J'ai quitté Alger avec une caravane de nomades. Je n'avais jamais vu la Kabylie, là où ma mère est née. Je l'ai tout de suite aimée. Puisque le monde voulait me cacher, alors c'est ce que j'ai fait. J'ai appris à survivre là où personne ne me trouverait. Cueillir les fruits, chasser et tuer selon la tradition. Récupérer une vieille radio pour capter les actualités.

Dormir sous les étoiles.

Les villageois me voyaient comme une énième gosse de rue. Une vieille dame m'a donné des cartouches de Camel et des bocaux d'olives. Un marchand m'a raconté ses expéditions dans le désert, avant qu'il soit marié.

Je faisais toujours en sorte de partir avant que quelqu'un veuille m'embrigader.

Jusqu'à récemment. Un drôle de bonhomme a trouvé ma planque pendant que je filtrais de l'eau. Apparemment, « ils » avaient entendu parler de moi et étaient intéressés par mon cas. Je lui ai demandé qui et pourquoi, et il a sorti sa carte. Wammy's Agency. Je lui ai dit que ce n'était pas une réponse. Il m'a dit qu'il voulait voir si je lisais l'anglais, et à quelle vitesse. Je lui ai dit que je connaissais assez la langue pour savoir ce qu'était un cunt et quand il y en avait un chez moi. Il a ri. Je lui ai servi du thé et je l'ai invité à manger. C'est ce qui se fait.

Il m'a parlé de l'orphelinat. Je lui ai dit que je me débrouillais très bien toute seule. Il a dit que justement, c'est pour ça que j'aurais ma place là-bas. On a parlé toute l'après-midi. J'avais besoin de le tester. C'était trop beau, trop gros pour être vrai. Je crois qu'il m'a testée aussi. Il a dit qu'il reviendrait la semaine d'après, et c'est ce qu'il a fait. J'avais changé de planque entre temps, pourtant. Tenace. Malin. Ca m'a convaincue. Je crois que c'est ce qui l'a convaincu aussi. On s'est revus deux autres fois. L'occasion de se tester sur d'autres sujets. Apparemment, c'était pas n'importe qui.

Tant mieux, je suis pas n'importe qui non plus.

Je suis arrivée en janvier. J'ai mis quelques semaines à m'habituer au froid. Pas l'habitude de vivre en communauté non plus. On s'y fait. Tous les styles sont permis en Angleterre. Je n'ai même pas attendu février pour refaire ma garde-robe. J'ai gardé mes anciens vêtements, toujours utiles pour les mises en pratique. J'ai gardé un bracelet de la Kabylie. Toujours important pour rappeler d'où je viens.

Et maintenant quoi ?

J'étudie. J'analyse. L'école est enfin intéressante. Certaines personnes ne sont pas trop mal non plus. Je planifie. Je calcule, et j'essaie d'apprendre à apprendre aux autres. Je crie trop, mais certains écoutent. Certains comprennent. Je veux aider, je ne suis pas en colère.

Maintenant, je prospère.

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