l'infinie patience des oiseaux

D'une certaine façon, Infinite était comme une force de la nature. Le regard des autres lui avaient longuement dicté qu'il était fait comme d'un marbre rare et précieux, et lui-même dans sa toute-puissance d'enfant s'était pris au jeu de se savoir en quelque sorte un mythe. La lourdeur de ses gestes, la discrétion de ses yeux revêtaient alors des aspects prophétiques, et Infinite s'est longtemps laissé à la passion des monstres sacrés, dont même les peines les plus silencieuses ont quelque chose d'une affaire publique.
A quatorze ans, il a soudain appris qu'il n'était le centre d'aucun monde. Bien sûr, s'il fallait lui poser la question il répondrait en toute vérité qu'il ne pensait pas l'être, mais ces attentions étaient quelque chose que le coeur d'un enfant peut articuler comme : je suis le centre du monde d'autres qui aiment me voir, comme on aime voir les montagnes à l'horizon. Jeté soudain dans ce monde trop accidenté de reliefs, où toutes les étoiles sont filantes et où trop d'enfants comme lui sont élevés en constellation, Infinite a alors réalisé que le propre des mythes est d'être vide de réelle substance. Les personnalités exubérantes le bousculent et les aisances intellectuelles l'éclipsent : déplacé loin de ses oracles, Infinite n'est plus qu'un garçon sans culte, qui ne comprend rien et n'a sans doute jamais rien compris des vertus qu'on lui prête.

C'est un garçon fermé et sans sens réel du commun. Il serait d'une fantaisie tout à fait absente sans la dévotion avec laquelle il regarde les oiseaux. Cette passion-là, quand il l'exerce n'a rien de tranquille et Infinite semble au contraire canaliser une énergie féroce dans la façon parfaitement inerte et concentrée qu'il a, de regarder les oiseaux vaquer à leurs vies d'oiseau. Il les connaît comme il méconnaît les hommes, et les regarde alors comme avec l'amertume de ne pas voir les hommes. Et de la même façon, dans ces regards qu'il voit sans voir, c'est qu'il ne se connaît pas, mais qu'à part au secret des mésanges on ne le connaît pas non plus : son infini à lui est fait comme un vertige ; c'est moins la certitude qu'il est sans finitude que celle, au contraire, de ne pas savoir où lui se termine, ni jusqu'à quelle latitude il peut formuler les secrets du monde, ni lesquels il ne voudra dire qu'aux oiseaux.

Il s'arrêtait parfois pour regarder sa sœur. Sans un bruit, Ingram reposait son stylo dans la tranche de son cahier ouvert à plat sur le sol, et appuyait son menton dans la paume de ses mains. A cet âge-là, il se contentait de dessiner les silhouettes du jardin et recopier à l'écrit les reportages qu'il entendait les parents regarder à la télévision. Et parfois, comme frappé d'un tonnerre invisible, il s'arrêtait soudain, en plein mot, même avant de finir de tracer une lettre, pour poser le stylo qu'il tenait et regarder sa sœur.

Il l'observait comme un insecte sous un verre. Ses yeux paresseux la scrutaient sans fuite et il cessait le balancier mécanique de ses pieds pour la regarder faire, peu importe ce que justement elle faisait. Ce calme soudain était comme un signal silencieux de l'attention pleine qu'il portait à sa jumelle. Il ne considérait pas Blenda comme une extension de lui-même, mais bien comme un double miroir, dont les mouvements se copient sur deux faces.

Jusqu'à présent, Ingram n'avait porté aucun intérêt à ce qu'elle gribouillait dans ses propres carnets. Mais ce jour-là, sous l'impulsion d'un force mystique, il avait un intérêt intense et absorbé pour le relief des chiffres dessinés qu'il apercevait sur les pages. Soudain il se releva sur les genoux, et rampa jusqu'à elle avant de se coucher à nouveau à son côté.

Tu fais quoi ?

Il ne la regardait plus. Sans demander, ses mains se posèrent sur le carnet dont il tourna les pages, avec l'audace des frères qui savent que tout leur est permis ; puisque tout le monde répétait que les jumeaux partagent tout, Ingram le prenait pour vérité absolue et se croyait alors d'un droit inaliénable sur tout ce qui appartenait à Blenda. C'était moins de la cruauté qu'un amour aveugle et rare.

Je peux essayer ?

***

— frère jumeau de Bone, né une vingtaine de minutes après elle
— enfant précoce et diagnostiqué autiste à un jeune âge
— il s'intéresse beaucoup à sa sœur et imite ses centres d'intérêt assez tôt, notamment les mathématiques, domaine dans lequel il s'avère rapidement exceptionnel
— il est beaucoup encouragé dans cette voie par son entourage, et puisque c'est très naturel pour lui, il s'y consacre pleinement au mépris de beaucoup de choses ; ses parents le confortent dans cette optique et s'adaptent à lui au lieu de l'aider à s'adapter lui. Il va dans une école spécialisée, étudie énormément à la maison, etc
— c'est si naturel que l'étude est presque un hobby, la seule activité dans laquelle il investit un effort constant est l'observation des oiseaux
— les parents décèdent soudainement dans un accident de voiture lorsque sa soeur et lui ont onze ans. Il y réagit assez violemment et reste dans le déni un long moment ; il s'intègre très peu à l'orphelinat et ne cherche à côtoyer personne
— l'arrivée à la Wammy's House le fait complètement déchanter ; puisque être un petit génie était jusque là son seul trait de personnalité et sa raison de vivre, voilà soudain qu'il appartient au commun des mortels. Coup dur
— au jour d'aujourd'hui il est perdu, il commence doucement à aller vers les autres depuis quelques temps et il fait ce qu'il peut pour devenir un ado correct vas-y Fifi