✿ Silly ✿ « C'est du bout du coeur qu'elle peignait »

Pour bien comprendre Silly... Enfin, comprendre, c'est un bien grand mot : personne n'y est jamais parvenu, et pour cause, nul ne peut voir le monde à sa façon. Donc, pour bien essayer de comprendre Silly, il y a deux choses importantes à savoir : la première, c'est qu'elle est atteinte d'une forme d'autisme, et cela se traduit par plusieurs troubles comportementaux.

- Des tics oraux et gestuels. Que ce soit dans son langage corporel ou dans sa façon de parler, la petite fille présente des singularités. Elle a parfois tendance à répéter des mots, voire des phrases entières comme un vieux disque rayé, à bégayer ou à faire différents bruits avec sa bouche, bouche qu'elle garde entrouverte la plupart du temps. Elle a souvent des difficultés à s'exprimer à l'oral, comme lorsqu'elle est trop excitée et que les pensées se bousculent trop vite dans sa tête. Elle devient alors presque incapable de terminer une phrase, qu'elle coupe au beau milieu pour en démarrer une autre. Parfois, elle ne s'exprime que par sons et onomatopées.
Lorsqu'elle est heureuse, elle secoue ses mains, sautille, tape du pied ou applaudit ; quand elle est triste ou effrayée, elle se recroqueville, prend sa tête entre ses mains et se balance d'avant en arrière en gémissant. Elle exprime ses émotions avec beaucoup d'énergie et de sincérité.
Elle est aussi incapable de ne rien faire de ses mains : il faut toujours qu'elle manipule quelque chose, qu'elle s'amuse avec ses paluches - et peluches - ou bien qu'elle joue une musique au rythme du tapotement de ses doigts. Elle a toujours besoin de voir, de toucher, de sentir. Et de bouger, surtout.

- Un sérieux déficit de l'attention. Silly est généralement incapable de se concentrer sur quelque chose plus de quelques minutes. Il faut dire qu'il se passe beaucoup, beaucoup de choses dans sa petite tête, dans laquelle elle passe beaucoup, beaucoup de temps. Lorsqu'on lui parle, elle écoute toujours d'une oreille distraite, et lorsqu'elle répond, c'est bien souvent à côté de la plaque, quand elle ne s'arrête pas au beau milieu d'une phrase pour s'adresser à vos chaussures.
Elle ne fixe que rarement son interlocuteur, son regard étant la plupart du temps perdu dans le vague, à la poursuite de l'invisible. Paradoxalement, elle est également capable d'avoir un intérêt obsessionnel pour quelque chose, si cela l'intrigue ou l'amuse. Et lorsqu'elle fait une fixette sur un truc, il est alors impossible de la faire passer à autre chose.

- Un univers bien à elle. Le monde dans lequel Silly vit est une illusion fantasmée, un monde dont elle est le centre, et nul autre qu'elle ne peut l'explorer. Elle s'est trouvée ses propres certitudes et vérités sur ce qui l'entoure, à mille lieux de la réalité.
Par exemple, toute chose possède une conscience qui lui est propre, les arbres, les cailloux, les peluches ou même ses couverts. Quand elle leur parle, les animaux la comprennent, et elle est persuadée de pouvoir lire leurs réponses dans leurs yeux. Quand elle fait tomber quelque chose, elle lui présente ses excuses, en espérant qu'elle ne lui en veuille pas trop.
Et si jamais il lui venait à l'idée de s'aventurer vers l'horizon, elle aurait tôt fait de se heurter au mur du ciel.
Bref, autant dire que Silly évolue dans sa propre réalité. Tout ce qu'elle découvre, elle ne le voit pas et ne le comprend pas comme les autres, puisque tout est alors soumis aux lois et vérités de son propre monde. Elle accorde souvent de l'importance et de la valeur à ce qui semble anodin pour d'autres.

- Des difficultés à comprendre et être comprise. Silly a beaucoup de mal à comprendre les comportements des autres et à deviner ce qu'ils peuvent penser, tout simplement à cause de sa nature disons simplette, ainsi qu'à une vision du monde et une mentalité fondamentalement différentes.
Par exemple, pour elle, il est inconcevable qu'on puisse dire une chose tout en pensant secrètement son contraire. Elle est donc incapable de mentir, et encore moins de déceler un mensonge. Elle ne comprend que les sentiments simples, comme lorsque quelqu'un rit ou pleure. Bien qu'elle puisse ressentir les mauvaises intentions, elle n'en a pas pour autant conscience.
Quant à elle, avec ses propos qui peuvent sembler absurdes, ses comportements étranges, et sa manie de parler aux objets ou toute seule, il lui est bien compliqué de s'intégrer socialement. Les gens ont tendance à lui répondre poliment, à l'ignorer, voire à se moquer d'elle et de sa folie. Avoir une conversation un tant soit peu constructive avec elle demande efforts et patience. Elle est parfois très ouverte, parfois complètement inaccessible.

- Débordante d'amour. Silly aime tout, et tout le monde, et considère de nombreuses choses comme ses amies. Les animaux, pour commencer, avec qui elle peut discuter des heures durant. Mais pas seulement : il y a aussi les fleurs, qui attendent de la voir s'approcher pour la saluer de leurs doux parfums ; le vent, qui parfois chante pour elle, et elle seule, alors qu'il joue avec ses cheveux ; et aussi le soleil, qui se lève chaque matin pour lui dire bonjour.
Parfois, il ne se montre pas, tout caché qu'il est derrière d'épais nuages. Silly pense que cela arrive lorsque l'astre solaire est malheureux, car bien souvent, ces jours-là, des larmes tombent du ciel, ce qui lui donne à elle aussi l'envie de pleurer. Silly aimerait bien pouvoir l'aider. Elle a beaucoup de peine pour le soleil.

Bref, elle n'est que paix, et amour. Elle n'est pas capable de grand chose d'autre, à dire vrai. Elle aime que les choses soient belles, les gens heureux, et faire plaisir. Elle aide et donne sans se poser de question.
" Heureux soient les simples d'esprit " dit-on !

- Amoureuse de la nature. Silly est très proche de la nature. Il n'est pas rare de ne pas la retrouver dans sa chambre au bon matin, mais blottie contre une motte de terre dans les jardins ( oui, l'hygiène est quelque chose de très secondaire à ses yeux ). Jardins dans lesquel elle aura probablement picoré quelques tomates au passage.
Elle a donc un affect particulier avec les animaux, dont elle imite parfois le comportement. Oui, elle bat des bras en criant " cui-cui ".
Elle porte un amour inconditionnel à la faune comme à la flore, à la terre comme au ciel, et aux saisons qui passent. Elle est par ailleurs complètement végétarienne. Et oui, on ne mange pas ses amis.

- Joyeuse et émotive : Silly ignore tout des malheurs du monde, et réalise peu la gravité des choses. C'est probablement ainsi que l'allégresse est devenue un état permanent chez elle. Avec toujours ce même sourire aussi bête qu'adorable, elle s'amuse d'un rien et s'émerveille de tout, bercée d'une tendre insouciance.
Il est impossible de douter de son état d'esprit, elle qui affiche ses émotions avec une franchise absolue. Pas de masque de façade avec Silly. Si elle ne sourit pas, c'est forcément que quelque chose la perturbe. Il est cependant rare que quelque chose vienne troubler son esprit jovial, mais elle se montre là aussi très expressive lorsque cela arrive, qu'elle soit triste, effrayée, ou même... en colère. Si parfois dans ce genre de situations elle s'enferme dans un mutisme complet, il lui arrive aussi d'exprimer ce qu'elle pense à l'aide de mots simples, de façon franche et directe, voire de devenir complètement hystérique.

- Sensible et imaginative : Silly a cette capacité de voir la beauté en toutes choses. Elle trouve beau ce qui est laid, que ce soit dans la trainée de bave d'un escargot ou dans l'odeur nauséabonde d'une étable. Et quant aux belles choses, et bien, elle les trouve plus belles encore que nous ne le pouvons. Lorsqu'elle admire le soleil qui se couche comme chaque soir, c'est mille émotions qui la submergent, si bien qu'elle en pleure de joie à chaque fois.
Elle a donc une certaine propension pour l'art, mais aussi pour la musique, qui reste l'un de ses plus grands plaisirs. Silly n'écoute pas simplement une chanson, non, elle la vit de tout son être, elle la chante, elle la danse, elle la regarde et la touche, elle la ressent jusqu'au plus profond d'elle-même.
Elle a également une façon bien à elle de voir les choses, d'associer les images et de donner du sens à ce qui n'en a pas. C'est ainsi qu'elle en vient à s'inventer des histoires certes absurdes, mais teintées d'une poésie aux accents candides.

- Manuelle et créative :

Silly est loin d'être stupide. Elle sait très bien lire et écrire ( peut-être pas joliment, mais correctement ), et si souvent elle a des difficultés à s'exprimer à l'oral, ce n'est pas la même chose lorsqu'elle tient un crayon entre les mains. Il suffirait de lire son journal intime pour comprendre que la petite n'est en aucun cas dénuée d'intelligence.
Il y a d'autres domaines dans lesquels elle a du talent, comme compter par exemple, mais c'est surtout dans les travaux manuels qu'elle semble être la plus à l'aise. Elle possède d'évidentes capacités dans des domaines artistiques comme le dessin et la peinture, deux passions auxquelles elle s'adonne souvent. Elle aime créer, et produit généralement des choses très colorées en s'efforçant de représenter les choses comme elle les voit.

- Une perception altérée du monde : Silly n'a jamais daigné apprendre à lire l'heure ou même la date, ses seuls repères temporels étant le relais des astres et des saisons. Autant dire que Silly a beaucoup de mal à se repérer chronologiquement et spatialement parlant, du moins selon nos méthodes. Son monde se résume aux lieux qu'elle connaît, et le reste n'existe pas. Les cartes ne sont que de curieux dessins à ses yeux.
Elle n'a que peu conscience de la gravité des choses, et n'a pas les notions de vie ou de mort, de passé et de futur. Pour elle, les événements ne se situent pas sur une frise horizontale, mais se superposent et se remplacent. Elle est aussi très bordélique, et n'a pas vraiment la même notion de " l'ordre " que les gens normaux. Généralement, quand Silly est passée quelque part, ça se remarque.

- Vulnérable et candide : Il suffit de voir son sourire benêt et l'air perdu qui habite son regard pour comprendre que Silly est une fille très naïve et crédule. Il serait aisé pour des personnes mal intentionnées de lui faire croire n'importe quoi et de la manipuler. Elle est par ailleurs incapable de comprendre les mauvaises intentions d'une personne, ou même d'imaginer qu'on puisse lui vouloir du mal, quand bien même on s'en prendrait ouvertement à elle, et pourrait même rire de concert avec ceux qui la tourmentent.
De plus, étant de nature pacifique et ne pouvant concevoir que l'on puisse être mauvais, aucun risque qu'elle ne soit rancunière et nourrisse l'espoir d'une revanche.
Sa vulnérabilité s'apparente parfois à celle d'un nouveau-né, du genre à mettre les doigts dans une prise. Elle a peu conscience des dangers qui l'entourent, ce qui la rend extrêmement dépendante et imprudente. Pour pouvoir évoluer sereinement, Silly a besoin d'être accompagnée... autant qu'elle a besoin de liberté.

- La simplicité à l'état pur :

Silly ne sait donc pas ce qui est précieux ou non. Ou plutôt, elle ne connaît que la valeur sentimentale, et ses plus précieux trésors sont des objets quelconques auxquels elle s'est profondément attachée. Si vous voulez lui offrir un cadeau, pas la peine de faire un trou dans votre porte-monnaie. Penchez vous simplement vers l'avant, et ramassez ce qui vous tombe sous la main. Du moment qu'il lui est offert, n'importe quel bibelot deviendra à ses yeux inestimable. Et inversement, si jamais elle dépose dans votre main une misérable babiole inutile, sachez que vous être désormais en possession de l'un de ses plus grands trésors.
Elle est loin d'être superficielle, et n'accorde aucune importance aux bijoux et autres habits luxueux. Pour faire simple, elle ne soigne que très peu son apparence, oublie souvent de se laver et n'a aucune connaissance de la mode. Ses cheveux sont laissés au naturel, pas coiffés ni même brossés, et elle n'a aucune idée de comment appareiller ses vêtements, dont elle se fiche qu'ils soient sales, vieux ou abîmés. Elle aime simplement que sa tenue soit colorée et fleurie, et apprécie tout de même les accessoires mignons. Si jamais elle est bien apprêtée, c'est que d'autres filles de la Wammy's se sont occupées d'elle.

- Des crises soudaines : En un éclair, l'humeur de Sally peut changer du tout au tout. Parfois sans aucune raison apparente aux yeux des mortels, parfois parce qu'elle bute sur quelque chose, ou bien qu'un grand bruit l'a effrayée, etc. Elle est alors sujette à des crises soudaines, occasionnelles et passagères, de nerfs, de rire, de larmes ou de déprime. Cela ne dure jamais bien longtemps, mais elle peut être très difficile à gérer dans ces moments-là : elle est capable de se mettre à se taper dessus, ou à tout jeter par terre.

Voilà donc un aperçu global de la personnalité de la jeune fille. Seulement, ce n'est pas tout. Le deuxième point à aborder, et qui vient expliquer un peu plus sa bizarrerie globale, ce sont ses capacités de synesthète. Ce n'est pas pour rien que, malgré toutes ses tares, Silly se retrouve parmi les surdoués à la Wammy's House. Elle possède ni plus ni moins que les dons synesthètiques les plus évolués jamais étudiés.

La synesthésie est cette faculté de pouvoir associer différents sens de façon particulière. La plupart du temps, deux sens sont reliés, ce qui permet de voir la musique en formes et en couleur, ou de pouvoir goûter quelque chose rien qu'en en sentant l'odeur.
Pour Silly, c'est encore autre chose, et c'est ce qui explique pourquoi il est si difficile de la comprendre. Ses cinq sens semblent n'en former qu'un seul : tout a un son, un goût, une couleur, un toucher, une tonalité, une aura. Elle peut entendre l'obscurité, caresser le silence, sentir l'odeur de l'amour et écouter le chant de votre coeur. Des capacités particulières donc, qui expliquent sa vision du monde et sa fascination pour toutes choses.
Lorsqu'elle dessine ou qu'elle peint, cela ne ressemble qu'à d'horribles gribouillis, des amas de formes et de couleurs sans aucune cohérence. En réalité, chaque trait et chaque couleur possède quelque chose de signifiant, et toutes ses oeuvres sont autant de codes qu'elle seule peut déchiffrer.
Cela lui confère également des dons de mentaliste, bien qu'elle n'en aura probablement jamais l'usage. Dotée de grandes capacités empathiques, elle peut ressentir les émotions, puisqu'elle voit chaque personne dégager une aura colorée en fonction de leur humeur. Elle va d'ailleurs naturellement vers les gens qui semblent ressentir de la peine ou de la détresse.

Avant d'être une enfant qu'on pourrait qualifier d'accidentée, Silly était avant tout un accident, tout simplement. Sa mère ne s'attendait pas à tomber enceinte, encore moins d'un homme qu'elle n'aura vu qu'une fois dans son existence. Oui, la mère de Silly était une femme de mauvaise vie, abonnée aux bars et aux coups d'un soir. Et quand je la conjugue à l'imparfait, ça ne signifie pas qu'elle est aujourd'hui revenue dans le droit chemin, mais bien qu'elle n'est plus de ce monde.

Non, la pente, elle n'a cessé de la descendre, de dégringoler encore et encore, et alors là, elle n'a pas touché le fond, mais s'y est littéralement écrasée. Mais tout commence donc par ce que certains appellent " le miracle de la vie " : la naissance d'une petite fille toute singulière, Silly. Mais contrairement à certains, la mère en personne en parlait plutôt comme d'une " putain de malédiction ". Déjà, parce qu'elle ne souhaitait pas porter l'enfant d'un pochard bien lourdingue rencontré à une heure du matin dans un bar miteux ;  parce qu'elle n'avait pas de travail, et donc pas les moyens de s'occuper d'une " saleté de gosse " ; saleté de gosse, qui, cerise sur le gâteau, s'est avérée être " complètement abrutie, insupportable et inutile " ; mais aussi, et surtout, parce que Madame avait une sainte horreur des enfants. Une femme de mauvaise vie, vous disais-je.

C'est donc entre des mains jaunies par le tabac et une haleine de cocktail, coincée entre les quatre murs d'un studio insalubre que la petite Silly a tenté de grandir, de s'épanouir, sans grand succès. Il faut dire que sa mère n'a jamais cherché à comprendre son handicap, ou à l'accompagner dans son développement. Non, c'était une enfant " ratée ", selon ses mots, et il n'y avait rien à en faire. Dans le doute probablement, elle a tout de même essayé de taper dessus à de nombreuses reprises au fil des années, des fois que ça finisse par changer quelque chose. C'est d'ailleurs là toute la tendresse dont était capable cette femme. Au moins avaient-elles un contact physique.

Pour ainsi dire laissée à l'abandon, le développement de l'enfant fut chaotique. Si ce n'était pour la gifler lorsqu'elle faisait trop de bruit, ou quelque peu la nourrir, sa mère ne se préoccupait pas d'elle, elle qui avait " assez de problèmes comme ça ", ce qui explique entre autres son manque d'hygiène. Jusqu'à ses cinq ans, elle n'a eu aucune vie sociale, et ne parlait toujours pas un mot de la langue. Elle ne s'exprimait que par onomatopées et par gestes, et obtenait pour réponses des cris et des coups. La plupart du temps, elle était laissée seule dans l'appartement, enfermée, alors que sa mère allait noyer son chagrin dans l'alcool. Et quand sa mère n'en pouvait plus de la supporter, quand bien entendu la frapper alors qu'elle était en pleine crise ne faisait qu'aggraver les choses, elle l'enfermait carrément dans un coffre, à peine assez grand pour elle, et ce jusqu'à ce que la petite fille se soit fatiguée de crier et de taper contre les murs de sa prison.

A ce moment-là de l'histoire, vous vous dites probablement " ça va trop loin ", et vous avez raison. Cette femme abjecte sous tous rapports est allée beaucoup trop loin, en piétinant de ses grossiers sabots toute forme de morale. Silly était une enfant qui avait besoin de tendresse, de patience, de soutien et d'empathie. Et si les choses avaient été autrement, si elle n'avait pas subi tous ces traumatismes, peut-être serait-elle aujourd'hui plus sociable et moins névrosée. Il est incroyable que cette petite chose soit capable de donner autant d'amour, elle qui n'en a reçu aucun. Mais la vie est cruelle, et ce qui est fait est fait. Cependant, il existe une justice, et son calvaire ne tarda pas à prendre fin d'une façon des plus théâtrales.

Silly était alors âgée de 5 ans. C'était le soir, au moment du repas. Alors que la petite criait sur les pâtes qui s'échappaient de sa fourchette, sa mère ivre s'était mise à pleurer. Sa geôlière en peine, on pourrait croire que cela aurait pu faire plaisir à Silly. Mais non, cela ne lui inspira que de la peine, de la peine pour une femme odieuse qui n'en méritait pas. La petite fille s'était alors levée, et avait maladroitement caressé le bras de sa mère avec de petits gémissements pour la consoler. Ce n'était pas la première qu'elle tentait de se montrer affectueuse avec elle. Mais c'était la première fois qu'elle ne se faisait pas rejeter avec violence.

A son tour, sa mère s'était levée, et l'avait fixée. Peut-être qu'aussi abattue et ivre, elle pouvait se montrer tendre. Et Silly, le nez en l'air, les yeux plein d'espoir, s'attendait à enfin recevoir un câlin, un simple geste, un peu d'amour, quelque chose. Mais l'ivrogne s'était alors retournée, avait marché jusqu'à la fenêtre, qu'elle ouvrit en grand. Et sans hésiter, sans un mot, ni un regard en arrière, elle avait sauté. Littéralement écrasée.
Il ne fallut pas longtemps avant que l'enfant soit secourue. Évidemment, outre le fait qu'elle ait été envoyée dans un orphelinat de la Fondation, elle fut surtout confiée à différents psychologues. C'est ainsi qu'elle fut déclarée autiste, mais c'est aussi par cette occasion que sa nature synesthète fut découverte. Grâce à un an de travail et d'accompagnement, il fut possible de lui faire passer différents tests, qui démontrèrent qu'elle possédait probablement un don hors-du-commun.

C'est à ce moment-là qu'elle fut recommandée pour être placée à la Wammy's House, qu'elle a alors rejoint alors qu'elle avait six ans. Alors, enfin, elle pouvait s'épanouir. La petite Silly que l'on connaît aujourd'hui venait enfin de naître. Cela fait maintenant quatre ans qu'elle a rejoint l'orphelinat, où elle reçoit tout l'amour, l'attention et les soins dont elle a besoin, mais surtout où elle jouit enfin de la liberté et de l'espace qui lui sont nécessaires. Depuis son arrivée, elle a beaucoup progressé, et a plus de facilités à communiquer avec les autres.
Quant à son passé, impossible de savoir ce qu'elle en pense. Elle semble l'avoir comme occulté, rangé dans une petite boîte, au fond de son esprit. Les psychologues ont longtemps essayé, mais le simple fait d'évoquer sa mère a des conséquences terribles, allant de la crise d'angoisse totale à l'évanouissement. Il ne faut par ailleurs jamais l'enfermer. Même pas pour rire.

Maintenant, Silly grandit paisiblement dans un environnement sain, au milieu des Alters qui la choient et la chérissent. Libérée de toutes contraintes, mais toujours au coin de l'oeil, elle s'adonne à ce que bon lui semble, quand bon lui semble. Tout le monde à l'orphelinat sait pertinemment qu'elle ne deviendra pas la prochaine L, ni même une surdouée, et pourtant, sa place est ici, et nul ne le conteste. Du moins, pas en public.