That's why, sometimes, it hurts to breathe ▬ Mello

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Ginger.
13 ans.

4H50
Qu'indique la petite montre pour enfant avec les expressions de Scooby Doo sur le bracelet patiné par le temps. Un des rares souvenirs de cette enfance à laquelle elle s'accroche, édulcore et se berce pour supporter un peu son deuil et son déracinement.

Coincée dans une cabine des toilettes, Ginger renifle, essuie son nez et les larmes qui coulent depuis une demi-heure. Elle a envie de vomir tellement l'angoisse pèse sur son estomac et bloque sa gorge. Elle a peur de sortir pour se rendre au gymnase et trouver son binôme.

Depuis un mois, les professeurs ont choisi de la mettre en binôme avec le second à la succession de L. La nouvelle l'avait rendue livide de terreur et d'un sentiment poisseux d'injustice. Ô rage ! Ô désespoir ! N’avait-elle tant pirouetté et entrechat que pour cette infamie ?! La ballerine avait eu beau argumenter et supplier, rien n’y avait fait. Le verdict est sans appel. Pire proposé même par L, selon les ont-dit.

La belle affaire ! Elle se moque bien de L. Ce n’est pas Ginger qui lui succèdera et c’est à cause de cette foutue pression à devenir le plus grand détective ou à intégrer tout autre grand réseau international affilié à la WH Corporation que sa santé fait le yo-yo. Le seul avantage à être à la Wammy's c’est d’espérer avoir un dossier suffisamment bon pour intégrer une grande école de ballet (merci les professeurs de danse anciens étoiles de renoms d’accepter les salaires de Watari). Mais même ça c’est l’angoisse et le brouillard.

Un instant, son regard brouillé se focalise sur ses chaussons de danse sur le carrelage blanc. Entre un sanglot, la Sud-Africaine se demande si il est possible de s’étrangler ou de se pendre avec les lacets. Puis, elle fronce les sourcils et s’interroge sur la possibilité de commettre un meurtre avec. De préférence sur Roger mais l’option de Watari et même de L est toute aussi recevable.

Pourtant, ce ne sont pas eux qui depuis trois séances critiquent, font preuve de mauvaise foi, osent clamer que sa spécialité ne servira à rien, lui reprochent son manque de force, sa combativité et ses grands yeux apeurés. Ses larmes et son départ de l'entraînement au systema il y a deux jours, elle ne les doit qu'à Mello.(Est-il possible avec deux cours de systema lamentablement ratés d'arriver à étrangler le blond avec son chausson ? L'idée est aussi lamentable que son coup de poing de la semaine dernière.)
Depuis son séjour à l'orphelinat, le Shape l'a toujours impressionnée et jamais Ginger n'a osé se brûler les ailes trop près de lui. Il l’impressionne et lui fait un peu peur. Pourtant la voilà obligée de faire la paire avec lui et plus ça va; plus elle a la boule au ventre, encore moins d'appétit et peur de son jugement.

Voilà pourquoi ce matin, elle est enfermée dans les toilettes à pleurer de frustration faute de courage d'oser tenter encore une heure pour apprendre au second successeurs la danse classique et qu'il se défoule à tenter de lui enseigner un sport dans lequel elle ne  pense pas une seule seconde avoir les capacités. Après tout, elle n'a rien à faire ici, Mello a bien raison comme tous les autres sur ce point.

Pourtant, la voilà qui essuie ses larmes. Souffle. Se campe face au miroir pour laver son visage, refaire son chignon rajuster son justaucorps et tenter une dernière fois d'accorder une chance à ce garçon dont la violence lui fait peur mais résonne en partie avec ses frustrations. Ces frustrations qu'elle n'ose hurler et qu'elle exprime à travers la danse. Son paradis qu'on questionne toujours avec défiance.

5h10.
Qu'indique l'horloge du gymnase.
Elle aperçoit Mello assis. Sa langue passe nerveusement sur son appareil dentaire, puis dans une profonde inspiration, Ginger s'avance, prête à affronter ses démons et dire une ou deux vérités - peut-être - à son binôme.


« Désolée du retard. »

Qu'elle marmonne, penaude.
Et avec l'envie de se gifler pour s'écraser ainsi.

Quand les premières notes de Boys Don't Cry résonnent dans le silence bleuâtre de la chambre, Mello a déjà les yeux ouverts. Sans bouger d'un millimètre il tend le bras et attrape le téléphone posé sur la table de chevet, désactive le réveil en poussant un long grognement. Quatre heures quinze – il n'a pas besoin de vérifier, il le sait. A nouveau il bougonne, se tourne paresseusement en direction du mur – se recroqueville sur lui-même.

« J'veux pas y aller putain... qu'il grommelle en s'enfouissant sous sa couette. »

Il préférerait de loin dormir une heure ou deux encore – et pourtant il n'aime vraiment pas dormir. D'ailleurs jusqu'ici il ne dormait pas.

« 'Fait chier... »

Il envoie valser la couverture d'un coup de pied impatient, bondit hargneusement hors du lit. Matt, de l'autre côté, semble ne s'être jamais couché – le blond daigne à peine lui adresser un mot alors qu'il rassemble à la va-vite de quoi s'habiller. Il s'agite avec un empressement revêche – il s'en voudrait presque de ne pas savoir abandonner, dire « J'en ai rien à foutre » ; de toujours vouloir se montrer à la hauteur des attentes que l'on fait peser sur ses épaules. (Une vie toute entière, semble-t-il, condamné à la performance. De soi. Prestance éloquence intelligence – une Sainte Trinité étouffante qu'il convient d'incarner sans relâche.)

Mello grimace en sentant les gouttes infimes de la bruine matinale lui picoter la figure. Il enfonce ses poings serrés dans les poches de son jogging, accélère le pas. S'approchant peu à peu du gymnase ses jambes se raidissent – ses doigts creusent plus fort la chair rugueuse et sèche de ses paumes. Son être tout entier se cabre à l'idée du temps qu'il s'apprête à perdre – néanmoins il avance, pénètre l'enceinte du complexe.

Trouve la salle de gym' vide.
Un-fucking-believable.

Résistant à la tentation de faire volte-face, il s'assoit en tailleur à même le sol, tourné de manière à pouvoir darder son regard sur la porte. Dix minutes – elle a exactement dix minutes, pas une milliseconde de plus, et après il se casse bordel. Le blond arrache rageusement l'emballage d'une barre de céréales (évidemment chocolatée, sans quoi il ne consentirait jamais à avaler cette immondice truffée de bouts de fruits séchés). Vraiment elle a de l'audace – comme s'il ne lui avait pas suffi de le planter en pleurnichant, la dernière fois, elle se paye le privilège de ne pas venir à l'heure ?

Ou bien, se dit-il en s'échauffant lentement la nuque et les épaules, c'est le fait de n'avoir aucune ambition digne de ce nom. On ne ressent sans doute pas le passage du temps lorsqu'on ne sait même pas quoi faire de soi.

Mais la voilà–
malgré la fragilité timorée avec laquelle son pied foule le sol, l'éternel second l'entend arriver.

« T'es en retard, constate-t-il d'un ton méprisant, en même temps qu'elle s'excuse pitoyablement. »

(Au fond de lui, il y a bien cette voix, cette toute petite voix, qui sermonne doucement : « Sois gentil, Misiek. » ; toutefois il n'a pas pour habitude d'écouter grand'monde, et encore moins ce pauvre semblant de bonne conscience.)

« J'te préviens, il est pas question d'rattraper le temps perdu. Contrairement à toi, j'ai des vraies choses à faire. »

Ginger a beau être debout, et Mello assis, ce dernier ne doute pas une seule seconde de sa position de force, au point qu'il ne fait même pas mine de se lever, toisant la jeune fille d'un air défiant.