freed from desire. [ft la mif]

« Eh, passez-moi le flash de vodka. »

Sans même daigner se retourner, Mello tend la main derrière lui tout en continuant d'avancer. Il doit ranger son portable, qui sert de GPS, dans la poche de sa veste en cuir pour ouvrir la flasque et en boire une longue gorgée – l'amertume froide et brûlante de l'alcool le fait grimacer et cligner des yeux. Il fourre le bouchon dans sa poche, récupère son téléphone afin de vérifier le trajet dans sa globalité. Pour l'instant, ils n'ont qu'à longer le bord de la route, comme ils le font déjà depuis une quinzaine de minutes ; cependant, une fois qu'ils se trouveront en ville... Il continue à étudier le plan d'un œil, s'efforçant d'en imprimer l'image dans son esprit, en même temps qu'il porte de nouveau le goulot à ses lèvres.

Tout a commencé il y quelques heures, quand Mello et End ont pris d'assaut la chambre de Mars, armés de cannettes de Heineken – absolument infect, cette merde – et de flasques de Poliakov. Parce que Mars est leur amie à tous les deux et qu'ils ne savent plus comment, quoi faire pour la sortir de ce mal-être coléreux qui la ravage. Le premier est tout à fait incapable de maîtriser ou ne serait-ce que de comprendre ses émotions, le second apprend encore ; aucun des deux n'a la douceur ou la sagesse que demande la tristesse de Mars.

C'est sans doute pour ça que, quand cette dernière s'est mise à parler de Venus, avec cette voix éraillée et fêlée que Mello déteste, il a déclaré :

« Non c'est plus possible. Mars, on part te chercher une nana. C'est pas négociable. Maintenant. Des blondasses perchées il y en a des millions. »

Et il a longuement écarté les bras pour illustrer le propos, se retenant à peine de lever les yeux au ciel. Putain, c'est bien pour ça que lui ne tombera jamais amoureux. (Est-ce que L a déjà été amoureux de quelqu'un... ?) En tout cas il a naturellement pris la tête des opérations – trouver la soirée, élaborer le plan pour se tirer d'ici sans se faire griller... Il a d'ailleurs été tellement étonné de découvrir que si si, il y a bel et bien une boîte gay à Winchester, qu'il en a ri d'un air incrédule. Ensuite le blond a furtivement foncé jusqu'à sa chambre afin de se changer. « J'en ai pour quinze minutes max', a-t-il promis à ses deux compagnons. Après s'être glissé dans une courte robe noire et une paire de bas résille, il a attrapé sa veste, une tablette de chocolat ; et il a rejoint End et Mars. Il a été décidé, avec une prévoyance toute relative, que l'aller se ferait à pied, ce qui devrait leur permettre de rentrer en taxi. Bien sûr, le Polonais préférerait éviter d'attirer toute forme d'attention qui pourrait nuire à l'orphelinat ; mais il a déjà sélectionné une fausse adresse à donner – une vieille baraque paumée dans les landes qui entourent la Wammy's House.

Il leur faut presque une heure pour arriver devant la boîte. The Thunderstorm, grésillent d'une lumière rougeâtre les néons qui surplombent l'entrée. Rentrer, d'ailleurs, s'avère être un jeu d'enfant – personne ne leur demande quoi que ce soit. Tous les trois s'engouffrent donc à l'intérieur.

Ils se trouvent dans une salle d'une grandeur toute relative – ou bien, la foule déjà présente fait paraître l'espace plus étroit qu'il ne l'est réellement. Mello est aussitôt saisi par la chaleur humide et âcre de l'endroit – il réprime une moue de dégoût, parcourant l'ensemble d'un œil alerte. Ses instincts naturels le dépassent – il repère promptement quelques têtes qui lui paraissent louches, ainsi que les accès et sorties potentiels, avant de se tourner vers ses deux compères.

« Maintenant c'est comme vous voulez, lance-t-il en leur décochant un sourire triomphal. »

A force de planifier et mener cette Grande (non) évasion, lui-même n'a pas réalisé l'ampleur, quelque part, de la chose. Ce n'est pas si souvent, quoique pas si rare non plus, que l'éternel second ose prendre ainsi la tangente. Gamberger dans l'immense périmètre de l'orphelinat, ça ne ressemble en rien à cette effervescence moite de corps anonymes qui se meuvent et se heurtent sous ses prunelles intriguées.
Néanmoins, il n'y a pas de doute.
Il veut en être.

Comment s'était-il retrouvé là ? Ca ne lui ressemblait pourtant pas.

Peut-être avait-ce été de voir l'état dans lequel Mars se trouvait cette soirée là ? La pauvre vietnamienne était une loque humaine, en chagrin d'amour depuis quelques jours la colère habituellement constructive et débordante de vie de Mars s'était transformée en une sorte de colère dévastatrice qui la consumait. La cause de ses pleurs ? Venus, son crush de toujours, qui avait succombé aux avances de Sulfur. Il ne pouvait y avoir pire situation pour Mars et End se sentit compatissant....lui-même était dans une phase de ce type. Il avait décidé de faire une croix sur Angel. Après des mois à observer Angel, détailler chaque centimètre de son visage, à imaginer même sa future vie avec lui - une fille, deux garçons, trois hamsters et un perroquet, tout ce beau monde habitant dans une ancienne ferme à Mexico city si vous voulez tout savoir- il avait dû abandonner le projet en apprenant qu'Angel était un garçon. C'était une sorte de chagrin d'amour étrange...il n'avait pas été rejeté lui,  à vrai dire tout était ouvert ? Mais il n'était pas gay.

Il n'était pas gay non plus lorsque Mello émit l'idée d'aller trouver une copine à Mars dans une boîte LGBT et que son coeur manqua un battement, qu'il se sentit à la fois totalement effrayé et....curieux ? End balaya immédiatement ces sentiments étranges, les mettant sur le compte de la surprise, et haussa les épaules en indiquant que ça ne lui faisait rien qu'ils aillent en boîte lgbt ou en boîte "normale" comme il spécifia.
Il n'était pas gay non plus lorsque Mello revint vers eux, après quelques préparatifs sur son look et que End se sentit affreusement en sueur lorsqu'il aperçut le shape, ses cuisses moulées dans des résilles, visibles à cause de la longueur de cette petite robe indécente. Il mit son coup de chaud sur le compte d'une quelconque fièvre qui commençait, sûrement le covid. Oui. Même mourir du covid lui semblait plus recevable qu'admettre qu'il trouvait Mello...sexy.

Et il n'était pas gay non plus lorsqu'ils marchèrent le long de la route pour rejoindre Winchester, par tant de nuit, et que les fesses de Mello semblaient être la seule chose qu'il pouvait regarder. End sembla soudain renaître d'entre les morts lorsqu'il trouva l'explication rationnelle à son comportement : après tout c'était parce que Mello avait une tenue de fille qu'il le regardait, c'était donc bien la preuve de son hétérosexualité. End se sentit mieux.
Les trois compères marchèrent sur la route. Les paysages défilaient, lentement, ils croisèrent des vaches qui se reposaient. End essayait de réconforter Mars, il lui disait qu'elle devait lui avouer ses sentiments, ainsi Venus le saurait et pourrait décider ! Qu'elle devait vaincre sa timidité et tout lui déballer - conseil qu'il n'appliquait d'ailleurs pas lui même-mais il était sincèrement désolé de voir son amie dans cet état. Cette soirée lui ferait du bien, c'était sûr ! A lui aussi. Enfin dans le sens où ça lui ferait du bien de prendre l'air quoi.

Arrivés devant la boîte, Mars, Mello et End avec leur look cuir moulant, regards ténébreux et chapelets en plastique devaient avoir l'air d'un groupe de métal indé à succès auto-financés sur Qobuz. On les accepta.

C'est la première fois que End entre en boîte gay. L'ambiance y est...étonnamment semblable aux boîtes de nuit classique. Lui qui s'attendait à tomber directement sur des scènes X à peine le pas de la porte passé, il soupire de soulagement en voyant des personnes relativement normales danser au rythme de la musique...la boîte semble s'être divisée entre la partie pour homme et la partie pour femme même si les deux pièces se rejoignent assez facilement. Il reconnaît même la patronne de la boulangerie où il aime se rendre pour acheter des muffins. End sourit. Il entend Mello et se tourne vers lui, Mello qui se fond étonnament bien dans la foule avec son look androgyne car End n'arrive pas à dire si certaines personnes sont des femmes ou des hommes...pas qu'il soit connu pour ce talent cela dit.

Mello : Maintenant c'est comme vous voulez

End : ouais !!!!

End brandit un poing, poignet entouré de bracelets à clous comme s'il tentait inconsciemment de repousser les prédateurs. Essayant de faire semblant d'être à l'aise il est clair qu'il n'est pas dans son élément.

End : Moi je vais au bar, je vous offre la première tournée comme ça vous pourrez en offrir à des cibles qui  vous intéressent, parce que moi ça risque pas hahaha Mars, on se fait le classique repérage de nana puis tu chopes des numéros ~

A ces mots il salue ceux qui veulent aller danser et se dirige avec ceux qui veulent une conso vers le bar. Terrain plus connu pour lui que le reste de la boîte de nuit. Il avait déjà bu les heineken mais il lui fallait quelque chose de plus fort.

Un couple d'hommes dansait devant lui. Accoudé au bar, ramenant son cocktail à ses lèvres, End les regarda un long moment, comme hypnotisé par les mouvements des deux garçons. Il observait leurs mains se toucher, leurs échanges de sourires heureux et intimidés, leurs mouvements sans honte...ils tournaient sur eux-mêmes comme des oiseaux dans le ciel... C'était étrange. Ce qui l'hypnotisait c'était cette...simplicité. End n'avait jamais envisagé l'homosexualité de cette manière. Les deux garçons n'avaient pas cette luxure odieuse caractéristique de la représentation du pauvre shape lorsqu'il pensait à l'homosexualité. Ils avaient simplement l'air....normaux. Et heureux.

Il baissa les yeux d'un air pudique, se retournant pour s'accouder devant le bar et tourner le dos aux danseurs.

Une semaine plus tôt End avait dit à Angel que leur amitié était finie. Et qu'il ne comptait plus jamais lui parler. Il lui avait même interdit de l'approcher. Ces mots avaient été d'une rare violence qu'il pensait enfouie et abandonnée depuis longtemps. Pourquoi avait-il été si odieux ? Il se souvint des bras d'Angel contre lui...et de ce...baiser, à la volée. Cela l'avait rendu fou.

End contempla son cocktail, les mouvements de son coeur se calquant sur les basses profondes de la musique de la boîte de nuit. Il lui semblait être en train de rentrer tout au fond de lui et de contempler les réflexions qu'il avait laissé mariner toute la semaine. Il devait faire face au fait que ce baiser revenait dans ses pensées toutes les 5 minutes. Cela s'imposait à son esprit, la courbe des lèvres sur les siennes, la chaleur....End sentit son cœur s'emballer de nouveau qu'il s'empressa de distraire à l'aide d'une gorgée d'alcool. Le liquide l'aida à enfumer la partie tétanisée de son cerveau, il y voyait désormais clair : Il crevait d'envie de l'embrasser de nouveau.

Cette pensée le tétanisa. Pour réfléchir à autre chose il repensa aux moments qui avaient suivi cet évènement. A vrai dire il n'avait fait que pleurer depuis une semaine. Parfois, alors même qu'il était entouré de ses meilleurs amis, le mexicain devait s'éclipser aux toilettes et s'assurer que personne n'était présent pour enfin fondre en larmes. Le soir dans son lit était le pire moment de la journée. Les oreillers servaient à étouffer le son de ses sanglots et cacher son visage rougit par l'émotion et les larmes Pourquoi avait-il si mal. Une douleur terrible au fond de la poitrine qui alourdissait chacun de ses mouvements et chacune de ses pensées. Il avait envie de tout recommencer, de prendre Angel dans ses bras, lui dire qu'il était désolé...

Un cul sec lui remit les idées en place, il commençait à en avoir asser de se laisser sombrer dans les remords et les regrets qui avaient caractérisé sa semaine entière. End commanda un nouveau verre au bar, un shot, il allait probablement claquer tout l'argent de poche qui lui restait des vacances mais tant pis. Il avait bien l'intention de rentrer ivre à la Wammy's House, ou  de ne potentiellement même pas rentrer. Errer dans les rues de Winchester, de faire n'importe quoi quitte à être embarqué au poste de police, voilà ce qu'il voulait. Tout mais ne pas à avoir à revenir à Wammy's House, et revoir Angel dans les couloirs...sans pouvoir lui parler.

End regarda son verre qu'il avait vidé en une seconde et analysa l'état de sa relation avec Angel.  Il lui avait semblé détester le pauvre Alter après le baiser. Comme si Angel était...la preuve de ce qu'il ressentait depuis plus années sans pouvoir se l'avouer. End sourit pour lui même. Il aimait se sentir pompette, voire ivre. Dans ces moments il lui semblait pouvoir laisser libre court à ses pensées et s'expliquer à lui même le lendemain que tout ça n'avait pas de sens puisqu'il avait bu.

Des visages connus l'arrachèrent soudain à ses pensées. Des orphelins de la Wammy's House. Qui n'étaient pas Mello, ni Mars. Apparemment  un autre groupe avait eu la même idée que le trio et avaient décidé de venir de leur côté en boîte de nuit. End fronça les sourcils et regarde en biais derrière son épaule dans l'espoir de se cacher et ne pas être reconnu...  il scanne la boîte.... et reconnait Tempest...Zarathoustra....quelques autres....avant d'apercevoir la personne qu'il avait le moins et le plus envie de voir. C'était comme un apparition, un spectre venu le punir. Il l'avait tant vu en rêves ces dernières nuits que End se demanda s'il n'était pas en train de rêver.

Angel.
Si l'on pense suffisamment à une personne, fait-on une hallucination et la voit-on partout ? End se frotta les yeux mais c'était bien lui. A trois mètres de lui à peine.

Les lumières glissent frénétiquement sur le visage d'Angel. Leurs regards finissent par se croiser. End le regarde d'un air ébahi pendant un bref instant....Puis fait mine de l'ignorer et regarde ailleurs.

La vérité est que son cœur bat la chamade, emballé par la fin de la musique qui s'arrête d'un coup, lumière avec.

End relève le menton, la boîte est soudain plongée dans une obscurité quasi totale. Seule une lueur bleue nuit permet encore de s'orienter. Reconnaître les visages des participants est à ce moment quasiment impossible.

"Pardon mesdames et messieurs continuez de danser, on a un petit problème technique avec la lumière!!! On vous met une musique romantique en attendant"

Des rires se font entendre.

Une impulsion de vie le traverse à ce moment.
Il déglutit alors que son corps s'élance de lui même.

"On en a pour une minute"

Une minute, cela lui laisse suffisamment de temps.

Suffisamment de temps pour profiter d'un rêve sans que personne n'en sache jamais rien.

End rabat sa capuche sur sa tête et marche en avant, puis attrape ses lunettes d'urbex dans sa poche, celles qui permettent de voir dans l'obscurité. Juste le temps d'être sûr de sa direction  puis les rabat sur son front Il s'approche d'Angel dont il connait la localisation. Il ralentit doucement et se pose juste devant lui. Il sait qu'Angel aurait du mal à le reconnaître, peut-être peut-il deviner, tant pis. Une musique douce se fait entendre, intimant un moment romantique dans la boîte de nuit.

End : Angel.....tu veux......une danse ? Avec moi ?  murmure t-il d'une voix mal aussrée.

End pose doucement sa main sur celle d'Angel, respectant ses propres réactions, ne le forçant pas. Et s'il accepte, il le tire doucement vers lui, les lèvres tremblantes, pour commencer à danser doucement. Peut-être a t-il deviné qui est en train de danser avec lui, tant pis. S'il reconnait sa voix, son odeur ou même les traits de son visage dans la pénombre, End pourra toujours prétendre à une erreur de sa part. Il prie pour qu'il ne le reconnaisse pas.

Il a l'impression de faire quelque chose d'illégal.

Quelque chose qu'on lui a toujours interdit de faire.

Ou qu'il s'est interdit de faire?

Mais c'est probablement la seule occasion de sa vie où il pourra danser avec un autre garçon sans que personne ne s'en aperçoive.

Son cœur bat la chamade, il compte les minutes dans sa tête. La musique l'accompagne et l'encourage. Un instant volé pour lui dire au revoir. Être quelqu'un d'autre pendant 1 minute, et il le laissera tranquille à tout jamais... Personne n'en saura jamais rien.

Dernier mensonge de End à lui-même, se persuader qu'Angel n'est pas en train de le reconnaître.