pure •• my sweet turpentine

À la fois fragile et à la fois forte, Pure est le genre de fille à faire partie du décors, à accorder un sourire affable avant de disparaître aussitôt. Bien sûr, par période, elle viendra chercher une compagnie temporaire, qu'elle trouvera aisément tant elle est facile à vivre.

Malgré son apparence de forte tête elle reste terriblement timide. Plus jeune, elle se mettait parfois à bafouiller ou, pire, à répondre par des provocations. Mais cette timidité s'étiole bien rapidement, du moins en apparence : si les conditions sont réunies, elle esquive le bafouillement par un silence songeur qui lui donne le temps de formuler une réponse adéquate.

Pure est une personne observatrice et calme qui déteste être prise à partie. Sa spécialité ayant de plus mauvaise presse, elle se heurte parfois à des regards méfiants. Dans ce genre de cas, elle ne peut répondre que par un haussement d'épaule et un air contrit.

En réalité, Pure dissimule parfaitement ses réelles intentions, ses sentiments et ses pensées. Bien entendu, la majorité des autres orphelins n'est pas dupe et lui trouve par conséquent un côté un peu faux, même si elle utilise rarement ses capacités pour faire du tort.

Bonne âme Pure est de façon générale agréable à vivre même si complexée par beaucoup de choses.

Sa montée toute récente dans le classement l'angoisse beaucoup, elle qui voulait simplement arriver au bout de scolarité dans l'anonymat le plus complet.

Quand elle ouvre la porte, du haut de ses onze ans, Perla affiche un air calme et affable, veillant toutefois à ne pas ouvrir tout grand le battant en bois.

– Bonjour, fait-elle de sa voix claire et posée à l'agent des services sociaux qui a sonné il y a de cela une minute.

Cela fait maintenant trois ans que Perla maintient l'illusion d'une vie de famille normale. Avec brio. Personne ne se doute qu'elle vit pratiquement seule, sa mère ne passant qu'une fois de temps en temps, souvent après une dispute aussi intense que brève avec son amoureux du moment. Elle ébouriffe les cheveux de sa fille sur le chemin du départ, la félicitant d'être aussi indépendante. Exit la maman.

L'école, ses camarades de classe, les commerçants du coin. Personne ne sait, l'illusion est parfaite, entretenue de ses petites mains de faussaire. En face d'elle, l'assistante sociale ne sait pas quel comportement adopter. Parce qu'elle sait tout désormais, simplement parce que des rumeurs se sont propagées, simplement par une camarade de classe de l'enfant qui en a parlé à ses parents, qui en ont parlé à la maîtresse, qui en a parlé en salle des professeurs...

La petite fille fait les courses seules, par petite quantité, feignant que sa mère l'envoie acheter une babiole qui manque à la maison.

La petite fille va à l'école publique à pied, rentre seule après les cours, dans une normalité absolue.

Elle participe parfois aux sorties scolaires. Parfois elle prétexte une réunion familiale pour se désister.

Elle invente des vacances pour passer inaperçu à la rentrée de septembre.

Elle sait remplir des papiers administratifs divers

L'enfant de 11 ans à peine a réussi à obtenir l'accès à la misérable épargne de sa mère par un compte Paypal qu'elle y a vraisemblablement connecté sans le lui dire. Mais on remarque également qu'elle y fait des dépôts réguliers. Des sommes ridiculement petites.

La brunette participe à des sondages en ligne qui la rémunèrent quelques centimes par enquête complétée. Mais de centimes à centimes, elle parvient à s'acheter un t-shirt, une culotte, un objet qui contribue à la représentation d'une vie en bonne et due forme.

Quand les sommes sont plus élevées, c'est qu'elle a vendu un meuble sur internet. En précisant : à venir chercher, bien sûr. Non, non, ma maman n'est pas là, mais elle m'a dit de prendre l'argent.

Il n'y a d'ailleurs pas grand chose derrière cette porte. De quoi dormir, de quoi cuisiner, des affaires d'école.

Les factures sont payées par ordre automatique, par la personne qui serait le père de l'enfant.

Elle est toujours tirée à quatre épingle, ses vêtements sont propres, repassés, elle se coupe les cheveux elle-même, est systématiquement et impeccablement coiffée, proprette.

Et tout cela dans l'indifférence absolue, dans l'apparence de normalité totale.
Et derrière le sourire de la petite fille qui penche la tête sur le côté.

– Vous voulez parler à ma mère ?

L'assistante sociale secoue la tête et elle décèle un bref éclat de panique dans le regard vert de l'enfant qui a un geste de recul imperceptible à qui n'a pas l'œil exercé.

Les notes de Perla sont dans la moyenne. Mais dans une moyenne trop moyenne, comme si là aussi elle s'appliquait à ne pas se faire remarquer.

Elle joue avec les autres enfants, ne fait jamais de bêtise. Ne pleure jamais.

Pourtant, dans ses yeux verts, à cet instant, l'assistante sociale voit le reflet d'un animal acculé.

Au moment où l'enfant va claquer la porte, elle a le réflex de coincer son pied dans le battant.


Elle observe une des mèches récemment coupées entre ses deux doigts. Ses cheveux ont foncé avec l'âge, cela accentue son teint pâle et ses yeux vert. Elle laisse retomber la mèche courte sur son front et lâche un soupir. elle vient d'apprendre qu'elle fait désormais partie du top 10 dans la succession de L, et son estomac en est encore noué. Son mode de survie, la dissimulation, continue à voler en éclat.

Cela fait maintenant quatre ans qu'elle vit à la Wammy's House pour enfants surdoués. Elle s'appelle Pure maintenant, malgré le fait qu'elle soit une personne qui ne dit jamais ce qu'elle pense.

Pure a vécu un an en famille d'accueil où elle a refusé de parler normalement, où elle hurlait à chaque contact, où quand elle ouvrait la bouche, c'était pour demander à retrouver sa mère.

Mais quelle mère ?
Finalement, celle-ci ne s'est plus jamais manifesté.

Finalement, c'est une autre assistante sociale qui est arrivée. Comme si chaque chapitre de sa vie devait commencer avec l'un d'entre eux.

Eux. Les autres. Les adultes.

Mona l'avait bien cernée. Elle lui avait dit qu'on l'attendait. Que quelque part par-delà la Manche, on l'attendait. Qu'elle avait un endroit où rentrer.

Depuis on s'occupe d'elle. Dans une étonnement absolu, elle découvre que des gens prennent soin d'elle, la nourrissent, l'habillent, la félicitent.

Depuis, Wammy's House est sa maison.
La seule.
La toute première.

Alors elle regarde un instant le contour de ses ongles qu'elle s'applique inconsciemment à gratter jusqu'au sang et laisse transparaître un petit sourire satisfait.