trippin' on the edge ft. lux

Carte d'identité dans la patte, pack de six dans l'sac. Gamine de la ville qui regagna le bitume avec un sourire sur la face, accompagnée par ce sentiment de liberté à l'odeur d'essence brûlée si caractéristique de ce dédale bétonné dont elle connaissait les recoins jusqu'à la moindre impasse, elle jubilait. Rien n'était plus délicieux que de boucler la gueule de quelqu'un qui doutait d'elle, la demoiselle avait prouvé à ce satané caissier qu'elle était effectivement en âge de boire des boissons alcoolisées et ce, à l'aide d'un simple bout de papier. Officiel qui plus est. Elle ne faisait pas dans la contrefaçon, non. L'authenticité, le maître-mot de son génie artistique débridé. Son rire fier résonna encore quelques instants avant d'être balayé par un vent violent printanier marquant la fin de cette belle journée. Soleil déclinant, il était bientôt l'heure fatidique de rentrer. Enfin. Pour les moutons. Non, pas ce soir. Comme pour la plupart des autres soirs. Sheryl voulait s'amuser, Sheryl voulait s'éclater. Et tout était plus fun lorsqu'accompagnée. Portable récupéré avec facilité, ses phalanges abîmées par la mixture toxique de ses oeuvres tapotèrent à la vitesse de l'éclair un message simple adressé à sa très bonne amie et plus grande fan. "c bn jai dkoi boire rdv la-bas" car c'était plus "cool" de ne pas savoir correctement écrire. D'après qui ? Elle. Evidemment. Les règles de la société devaient être contournées, brisées pour permettre à autrui de se sentir pleinement libre. Alors pourquoi pas celles de l'orthographe pendant qu'on y était ?

Ecouteurs enfilés, une ligne de basse profonde vint titiller ses tympans, lui procurant un frisson particulièrement puissant dans l'échine. Cette soirée allait être d'enfer. Elle le savait déjà. Pour une fois, elle n'avait pas prévu de taguer un mur -même si son matériel attendait sagement à côté des bières- et simplement vivre pleinement. Et pour ça, elle avait l'endroit idéal. Quelque part en hauteur, avec une magnifique vue sur Winchester, tout en restant dans un cadre urbain. Un site de rénovation. Un petit immeuble d'habitation vide, uniquement protégé de barrières et de panneaux d'interdictions. L'endroit parfait pour une fête privée en tête-à-tête avec sa très chère mécène. Lux. Véritable lumière dans sa vie, la seule et l'unique qui lui permettait de ne pas se limiter à quelques peintures aérosols bon marché. Spray voulait de la qualité et surtout en quantité. Les litres de liquide coloré qu'elle utilisait par semaine étaient ahurissants, complètement indécents. Tout son argent de poche gracieusement offert par la WH passait par-là, mais cela n'avait au bout d'un moment plus suffit. Et là la rouquine était entrée en scène. Pour la sauver de la misère, pour l'aider à dévoiler sous la lumière son véritable génie. En bref, Spray respectait et aimait beaucoup cette demoiselle qui reconnaissait son talent à sa juste valeur. Même si elle avait deux ans de moins qu'elle. Même si elle ne pouvait pas acheter ses propres bières. Tout le monde avait ses défauts. Certains plus chiants que d'autres.

Lieu du rendez-vous atteint en première, l'artiste observa avec satisfaction les ouvriers du bâtiment quitter un à un leur lieu de travail pour probablement s'enfiler quelques chopes au bar du coin. Pétillant dans ses prunelles, excitation dans ses veines. Gamine qui ne tenait plus sur ses deux pattes, elle dansait sur place. Légère comme le vent et plus ou moins addict à toutes les formes d'art, il n'était pas rare de la voir se taper un moonwalk dans les couloirs ou l'entendre chanter à tue-tête à deux heures du matin. Sa colocataire la haïssait probablement depuis le temps. Tous comme celles qui avaient la malchance de dormir à côté de sa chambre. Puis, au bout d'un moment plus ou moins long, elle vit l'être de lumière entrer dans son champ de vision. "Lux !" Gueula Spray pour s'entendre par-dessus la musique, ouvrant les bras pour lui offrir une accolade. "T'es classe, j'kiffe ta tenue. T'as pas oublié ton enceinte bluetooth j'espère hein ?" Le soleil disparaissait peu à peu, baignant l'univers dans le noir. Il était l'heure d'entrer par effraction sur ce chantier. Elle pointa du doigt le grillage avant de doucement s'avancer vers ce dernier. "Pour combien t'escalade l'grillage ? J'te file ce que tu veux si t'y arrives seule." Premier défi. De quoi commencer en beauté cette soirée.

Écouteurs retirés dès l'arrivée de la belle rouquine, sa salutation prit rapidement la tournure d'un défi poussé par les vapeurs alcooliques qui s'échappaient déjà de ses babines. Spray n'avait pas attendu son amie pour boire; l'attente mélangée à l'excitation de cette belle soirée en devenir l'ayant poussé à consommer en solitaire. Lux avait une bière de retard et Sheryl lui avait intimé d'immédiatement la rattraper. Histoire d'être ex aequo en terme d'ébriété. Rien de méchant. "Sympa la 'zik." Pas son style préféré mais cela faisait largement l'affaire. Elle n'était pas très difficile niveau musique, les goûts et les couleurs différaient en fonction des gens après tout.
Premier défi, escalader un grillage. Pour l'artiste, rien de difficile. Mais pour sa mécène ? Un vrai challenge, du moins c'est ce qu'elle pensait. Mais elles devaient d'abord négocier une récompense, comme toujours. "Un autre ? Hey mais tu les manges ou quoi. La peinture c'est toxique à grailler tu sais." Pas qu'elle avait essayé. Pas consciemment en tout cas. Enfin, qu'une fois. Pour tester. Elle était petite. Relativement. Vite fait. "Si t'y tiens vraiment ok, t'façon ça me va car tu es un beau modèle et tu rends bien en peinture. D'ailleurs en parlant de ça faut que tu me repasses l'autre, j'dois rajouter un détail que j'avais zappé." Fit-elle en fixant le site de construction. Formes et couleurs qui s'ageançaient déjà au sein de son esprit, elle voyait déjà sa composition et savait parfaitement comment la reproduire dans la réalité. Il ne lui suffisait plus que d'une toile. Transportable de préférence, contrairement aux milliards de murs disponibles, hélas. Tête qui se tourna vers l'être du lumière, elle la vit s'étirer. Surprise, elle leva un sourcil.

Et elle se mit à rire. Fort. "Attends tu t'échauffes ? Meuf, j'te demande pas de faire un marathon là ! T'es même pas majeure qu'tu joues déjà la vieille ! J'devrais pas t'appeler Lux mais mini-Abbey !" Spray adorait la maman de la WH, mais on ne pouvait pas mentir sur son âge. Elle le portait sur la face. Tape amicale dans le dos de l'adolescente pour l'encourager, Spray hocha la tête. "Ah les gosses ! Azy j'vais te montrer comment les pros font." Sac jeté par-dessus le grillage sans y réfléchir à deux fois, la rebelle prit un peu d'élan avant de s'élancer et grimper telle une chimpanzée jusqu'à atteindre le sommet. Rien de difficile puisqu'elle s'exerçait depuis ses dix-ans. Puis elle sauta pour rejoindre l'autre côté avant de se retourner vers son amie. "Bam. Le tout c'est d'aller vite, sinon à force tes muscles vont s'fatiguer à cause de ton propre poids." Un temps. "J'dis pas ça car t'es grosse ou quoi hein." C'était juste la gravité qui existait uniquement pour les emmerder. Rien de plus. Puis elle attendit, mains sur les hanches, prête à la voir réussir ... Ou échouer.  

Une simple question avait complètement changé le ton de cette soirée qui s'annonçait pourtant magnifique. L'instant de réalisation déstabilisa complètement l'artiste qui ne s'était absolument pas attendue à ce genre de nouvelle. Frisson dans l'échine accompagné d'un tremblement incontrôlé. Pourquoi avait-elle fait ça ... Comme ça ? Sans lui en parler ? Sans même le mentionner ... Elle lut avec attention les caractères illuminés sur le portable avant de voir la date de la transaction. À peine quelques jours après qu'elle lui ait offerte l'oeuvre.

Spray n'en revenait pas. Et le changement radical du comportement de la Riddle ne l'aidait pas.

En soit elle n'avait aucun problème avec l'idée de vendre ses peintures — contrairement à Banksy, mais là les choses étaient différentes. Il s'agissait d'un cadeau, faite à son amie ou du moins à la personne qui avait prétendu l'être. Quelque chose de personnel, quelque chose d'intime, quelque chose de vrai. Son regard se détourna définitivement du portable tandis qu'un courant d'air vint balayer sa chevelure argentée. Elle n'aurait jamais voulu connaître le prix de son amitié qui apparemment se soldait à quelques milliers. "Je … Pensais qu'il t'aurait plu plus que ça. Il faisait vraiment trop cool dans ta chambre, au-dessus de ton lit." Répondit-elle en sentant son coeur se serrer, n'osant même pas extérioriser ce que son âme hurlait. La tagueuse se sentait conne d'avoir cru que Lux aimait son art pour son art, d'avoir pensé que leur amitié représentait pour elle plus qu'un pari risqué. Mais non. Sheryl n'était qu'une poule aux oeufs d'or. Une trahison ? Presque. Quelque chose de similaire. Un couteau dans le dos, peut-être. "Y'a pas genre … Une loi qui dit que tu dois demander l'accord de la personne qui a fait le tableau avant de le vendre ou juste … De donner un pourcentage … ?" Spray ne s'y connaissait absolument pas, néanmoins elle savait les histoires de mécènes abusants de la confiance de leurs artistes pour s'en mettre plein les poches. Sa gorge se serra et elle croisa les bras sans même s'en rendre compte. Avait-elle le droit d'être en colère ou était-ce complètement déplacé ? Devait-elle au contraire la remercier ? Incertaine quant à la réponse, un sourire se dessina par réflexe sur ses lippes rosées. Un en coin. Léger. Une façade. "Mais c'est cool, wow, ça me fait un choc que ma première vente soit si … Élevée. Pourquoi je t'en voudrais, c'était ton … Cadeau. Ahah. J'espère que l'acheteur était content de ce que ça rendait en vrai. Et j'espère que le détail ne va pas lui manquer. Bon, viens, on est pas discrètes au milieu de la rue on risque de se faire chopper." Elle riait mais son coeur n'y était pas. Puis elle se retourna simplement avant de s'enfoncer dans le site de construction, les mains enfouies dans son blouson, seule.

Spray avait écouté ses paroles. Ou plutôt ses excuses. Elle les avait bu, s'était raccrochée à la moindre chose qui pouvait se rapprocher d'une quelconque preuve d'amitié. Peut-être que Lux avait voulu bien faire, peut-être qu'elles n'avaient juste pas la même conception du mot cadeau, peut-être que c'était sa faute à réagir comme ça, peut-être qu'elle était trop conne pour comprendre, peut-être, peut-être ... Orage dans son esprit, le filtre coloré avec lequel Sheryl abordait la vie semblait s'être troqué -littéralement- pour un grisé. Goût fade entre ses lippes gercées, l'artiste avait préféré lui tourner le dos pour tenter de se ressaisir, retrouver le sourire. En vain. Puis elle avança. Simplement. Lentement. Poings serrés glissés dans ses poches pour ne pas laisser transparaître sa détresse, ni sa peine, elle resta silencieuse. Lux surprise par les offres. Okay. Mais elle ne l'aurait pas été si elle n'avait pas cherché à le vendre. Puis la commission. Spray attendait toujours de voir le fruit de son labeur; elle ne s'attendait pas à le recevoir avant un très long moment, si ce n'est jamais.

Puis Lux parla de sa carrière. Du tremplin que cette vente pouvait faire. De quoi la propulser au-devant de la scène, de quoi lui donner assez de notoriété pour commencer, de quoi faire d'elle une future artiste de renommée nationale, peut-être mondiale. Tête tournée, l'Alter regarda par-dessus son épaule la Riddle. Un argument pertinent. Une réponse qui lui faisait presque oublier le couteau logé dans son dos. Respiration prise pour répliquer, instant coupé par la peur de la vendeuse. Quelqu'un approchait. Séparées, elles devaient faire un choix pour fuir et la rouquine décida de la rejoindre de ce côté du grillage, du côté illégal. Inexpérience mêlée à l'adrénaline, elle s'emmêla les pinceaux et s'écrasa au sol dans un nuage de poussière. Face à ce spectacle pitoyable, Sheryl n'eut d'autres choix que d'entrer en action. Fuir seule, surtout après cette scène, aurait été le plus logique mais la demoiselle n'était pas comme ça. L'amitié était sacrée. Même si visiblement ce n'était pas le cas pour tout le monde.  Course effrénée jusqu'à sa camarade, elle l'aida à se relever tout en vérifiant si elle n'avait rien de cassé. Puis, ses phalanges agrippèrent son poignet pour la tirer plus en profondeur dans le site. Si quelqu'un devait venir les chercher, cette personne allait devoir dans un premier temps les retrouver. Escaliers atteints, elles grimpèrent deux à deux les marches jusqu'à atteindre le troisième étages où elles se cachèrent dans un recoin, derrière de l'équipement. "T'as vu qui ?" Demanda l'artiste. "Peu importe. On va attendre ici une heure ou deux, l'temps que la personne qui rôde se barre et en priant pour que les flics débarquent pas." Ton ferme, un ordre. Sheryl avait déjà joué au chat avec des adultes dans des situations similaires; se cacher et attendre était la seule façon de leur échapper, ironiquement.

Adossée contre un mur de brique elle se laissa glisser jusqu'au sol avant d'intimer à Lux, d'un mouvement de tête, de faire de même. Quitte à attendre, autant le faire dans les meilleures conditions possibles. Jambes repliés contre son torse, Spray posa son menton sur ses genoux avant de finalement dire. "Je t'en veux, un peu. Pour moi, un cadeau ça doit être gardé précieusement et pas jeté au premier venu. Tu dois ptêtre trouver ça débile mais pour moi l'amitié n'a pas de prix et vaut tout l'argent du monde. Alors la prochaine fois que tu veux un tableau pour l'vendre, dis le moi clairement." Un instant. Elle sortit de son sac à dos une bombe de peinture avant de l'observer. Le chemin vers le succès était tortueux et plus elle s'approchait de la lumière, plus les autres allaient vouloir la manipuler pour en profiter. Était-elle prête à affronter le pire de ce que l'humain avait à proposer ? "Combien de personnes ont fait une offre ? C'était en Angleterre ou ailleurs ?"

Le prisme à travers lequel l'artiste observait le monde qui l'entourait différenciait de celui de la jeune entrepreneuse : couleurs contre froideur, fantaisie contre réalité, leurs univers n'étaient pas faits pour se croiser et encore moins cohabiter. Et pourtant elles étaient là, planquées dans cet immeuble récemment érigé, l'une en face de l'autre, les dernières vapeurs alcoolisées s'échappant de leurs lippes tandis qu'une certaine tension émanait de leurs paroles. Une discussion dans le but d'obtenir la vérité, de connaître sa réalité, de comprendre sa perception des choses et le cheminement de pensée qui l'avait mené à accomplir un tel geste. Sheryl ne comprenait pas. Elle qui n'avait connu que solitude depuis sa naissance, la Wammy's House était le premier endroit où elle s'était sentie acceptée et entourée d'amis. Et l'action de Lux lui avait brisé le coeur. Alors elle demandait, se questionnait, voulait savoir pourquoi elle l'avait fait.

Mais voilà, la belle rouquine se redressa pour venir s'asseoir à ses côtés de façon à lui montrer les données qu'elle avait pu amasser au fil des journées. Étude de marché, profil des acheteurs potentiels, des analyses par milliers. Sans réellement comprendre les informations qui défilaient devant ses prunelles embuées de gouttes salées, l'Alter écouta silencieusement ce que la Riddle avait à lui dire. Le nom de ces villes la faisait rêver et entendre quelqu'un confirmer que le reste du monde s'intéressait à ce que ses phalanges produisaient la fit hoqueter de joie. La flamme dans son regard se raviva tandis que les graphiques et les courbes en tout genre se succédaient.

Sigle qui résonna entre ses oreilles, elle douta de la définition exacte mais comprit parfaitement le sens de la phrase. Puis, ultimes syllabes. "Q ... Quoi ? Sérieux ? Pour de vrai ?" Les étoiles scintillaient dans ses prunelles, à moins que ce ne soit les larmes qui revenaient de plus belle. "T'es ... T'as ... T'as fait ça pour me faire plaisir alors ?" Crédulité enfantine, elle se remit à pleurer mais avec le sourire aux lèvres. Sans attendre, ses bras entourèrent le cou de sa camarade pour l'enlacer de toutes ses forces, elle l'embrassa même à la commissure des lèvres -amicalement évidemment-. "Je t'aime putain ! On va m'afficher à Chicago ! À Chicago bordel ! J'vais devenir une vraie star !" Son rêve était enfin à sa portée. Lux venait de lui confirmer qu'elle en avait les capacités. Sans attendre, l'artiste sauta sur ses deux pieds en essuyant très -absolument pas- classement son nez avec la manche de son haut avant d'aider son amie à se relever. "J'suis désolée d'avoir douté de toi, promis plus jamais ! Tu crois que la galeriste en voudrait d'autres ? Tu crois qu'elle voudrait me rencontrer ?" Elle commença à tirer la demoiselle en direction de la sortie. Pas question d'attendre ici que la mort ni les flics ne viennent les chercher, elles devaient rejoindre l'orphelinat pour ne pas terminer à faire des fichiers excels jusqu'à la fin de l'année. Elles coururent alors, vérifiant à chaque détour que personne ne les suivaient, avant de regagner le grillage, côté opposé à celui par lequel elles étaient entrées. Spray s'apprêta à grimper avant de tourner les yeux vers sa camarade. Elle lui avait fait le coup une fois, mais pas deux. "Au fait, j'ai plus d'matos pour peindre ni une thune. Mais bon, tu comptais bien m'passer la moitié des gains donc j'ai pas b'soin d'aller taffer ... Pas vrai ?"