under the skin, dj.

Ils sont allongés tous deux, immolés dans le gazon.

Elle  s'esclaffe et tout son squelette se recroqueville. De sa bouche s'expulse la bière qu'elle vient d'avaler de travers. Elle ne sait pas si elle rit d'être ici, dans le creux des arbres, ou de la musique que Jay sélectionne, ou à cause du soleil qui fait bourdonner son front ou juste de l'absurdité d'être en vie.

Il y a bien des mois qu'ils s'évertuent à enivrer leurs esprits dans cette clairière au milieu des bois. DJ affirme que c'est un endroit à l'acoustique qui tue puisque les ondes se réverbèrent et s'y amplifient mais elle se fiche bien des technicités puisqu'elle l'écoute à peine.
Il a apporté une enceinte (elle ne l'a jamais connu sans), qu'il  a positionné là puis de temps à autres il se relève et va la déplacer, tentant un autre endroit ou une différente inclinaison, tandis qu'elle achève sa deuxième bière, une de celles qu'il lui déposé à ses pieds comme une offrande.

Elle s'est habitué à son existence comme on s'habitue à l'herbe qu'on écrase sous ses pieds. Ce bonhomme dont la silhouette ne lui inspire rien, évasivement surnaturel et semblable aux étoiles que l'on distingue mieux lorsqu'on ne les regarde pas directement.

Son bras se soulève, se tend et vient retomber puissamment sur le corps informe de DJ.

« Mets le son avec l'eau. » qu'elle dit mais elle ne sait pas de quelle son elle parle, elle ne désigne rien de particulier.

Il attrape son bras. C'est un bras fort, un peu gauche, perpétuellement violent et chaud comme une arme.

- Tu t'en souviens de Molécule ?

Il pose la Bose sur son arête au milieu d'un rocher.
La légère dépression en son centre la maintient droite. Les basses sont filtrées par la mousse et on n'entend plus, du son, qu'un filet.

- C'est un français qui est parti enregistrer son album sur un chalutier dans l'atlantique nord.

Il laisse passer quelques secondes de bruit qui s'étouffe comme un cri. Le sien se comprime quelque part à mi chemin entre sa poitrine et sa trachée. Fébrile à cause de la bière qui lui a délié la verve, puis le geste, il appuie sur le bouton play du minuscule lecteur mp3 connecté au jack. Il renverse l'enceinte au moment précis où les fréquences passent dans la partie inférieure du spectre.

- Après il est reparti au Groenland pour faire son deuxième album. Mais il est pas très intéressant.

Il sait qu'elle ne l'écoute pas. Mais il a beaucoup de plaisir à lui parler. Les choses errent dans sa tête. C'est comme ça que ça fonctionne, ça ne pourrait pas être autrement.
Autrement ce serait perdu.

DJ saute par-dessus la grosse pierre et chope l'enceinte calée dans son renfoncement.
Il attrape le tronc de l'arbre immense qui les entoure avec ses racines. Dans leur creux ils se sont lovés et dans son ombre il ont mangé les minutes et les heures. Ils ne seront sans doute pas rassasiés du temps de verdure et de silence brisé qu'ils confectionnent ensemble, mais ils n'en auront cure. Il seront heureux.

- Maintenant paraît qu'il record des surfers portugais.

L'écorce du saule que DJ attrape cède sous ses doigts. La petite Bose tonitruante suit le cours du morceau qui s'achève dans un tonnerre sur une grève bretonne. C'est un projet nocturne, assez blanc dans l'ensemble, bien constitué mais qui ne touche pas tant. C'est ce que DJ oublie de penser à voix haute. Mais Dora sait, comprend, et s'en fout.
C'est la seule chose qui compte.

DJ serre contre lui l'arbre qui les verra probablement égrener d'autres étés, se bourrer comme des coins, grandir. Il lève ses yeux aux cimes d'un air perplexe. Il se souvient qu'à aucun moment de l'album, enregistré en mer, on entend un bruit d'eau. Il se demande si pour cela elle ira jusqu'à le taper.

- Demande-moi un autre son.